Climat : Les sciences en alerte
En nous inscrivant dans une histoire plus complexe et plus riche, le savoir scientifique peut réenchanter le monde.
dans l’hebdo N° 1521 Acheter ce numéro
Le Giec publie un nouveau rapport, mais nous ne l’attendons pas avec l’intensité éprouvée pour les précédents. Il évalue les chances d’atteindre l’objectif de 1,5 °C de réchauffement moyen sur la Terre d’ici à la fin du siècle. Or, nous savons déjà que, en l’absence de changements de fond, ce réchauffement sera atteint dès 2040. Et sans doute avant, car les émissions de gaz à effet de serre, qui auraient dû déjà atteindre un plafond, continuent d’augmenter.
Le Giec n’est pas en cause, ses alertes lancées depuis quarante ans non plus. Les négationnistes du réchauffement climatique et les marchands de doute sont dévoilés : les intérêts explicites des industries fossiles et chimiques, ceux de l’« America Great Again », les intérêts nationaux, la « post-vérité » et le cynisme tiennent lieu d’arguments. Nombre d’entre eux sont reconvertis dans les « solutions » de la bio-ingénierie et de la géo-ingénierie. Ils ne s’appuient plus vraiment sur des recherches scientifiques ad hoc. Leur pouvoir de nuisance est politique. Finalement, les travaux des scientifiques sont aujourd’hui surtout dévalués par ceux qui proclament les prendre en compte sans les inscrire dans des choix qui pourraient répondre aux défis. Ils deviennent des pièces du décor, des éléments de langage.
Pourtant, les alertes scientifiques s’accordent désormais avec la réalité vécue, observée hors des laboratoires, ressentie. Les recherches des climatologues sont complétées par de nombreux travaux d’historiens, de physiciens, de biologistes, d’agronomes, d’écologues et de naturalistes. Ces études suscitent un intérêt nouveau, comme une manière de réapprendre à voir et à comprendre le monde et la Terre : « La hiérarchie des sciences qui relègue au dernier rang les savoirs naturalistes concrets (1) » a régné pendant des décennies ; elle est désormais bousculée. Ainsi, la publication toujours plus importante de savoirs historiques et scientifiques, de livres d’observation de la Terre et des espèces vivantes libère un imaginaire emprisonné dans une histoire linéaire de la modernité industrielle et du capitalisme.
Cet imaginaire nourrit de nombreuses luttes et résistances à la destruction de notre oikos, notre maison commune. En nous inscrivant dans une histoire plus complexe et plus riche, il peut réenchanter le monde. Car une intelligence est à l’œuvre, tissée de connaissances scientifiques, de savoirs d’observation, de sensibilité, d’ingéniosité, d’imagination et d’intentions subversives.
Dans ce bouleversement, où en est l’économie, l’oikos nomos, la gestion de la maison ? Elle ne fait pas recette. Pourtant, elle pourrait avoir son mot à dire. Encore faudrait-il qu’elle revienne dans la maison d’où elle est sortie et qu’elle fasse un grand ménage. Sans oikos, l’esprit gestionnaire est devenu une fin en soi. La plupart des économistes ont réussi à imaginer un système économique fermé sur lui-même, sans liens avec la Terre, sinon utilitaristes. Un système hors sol. L’atterrissage est douloureux. Les chantiers du retour sont ouverts.
(1) Une histoire de l’écologie, Jean-Paul Deléage, La Découverte, Paris, 1991.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.