Crise climatique : quels effets sur la santé ?
Un colloque organisé le 12 octobre étudie les risques sanitaires du réchauffement. Une approche peu courante en France.
dans l’hebdo N° 1522 Acheter ce numéro
Santé et climat. L’association des deux mots n’est pas une évidence – en France, en tout cas. Au Canada ou aux États-Unis, avec les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), des instituts de recherche sont dédiés à l’étude des effets du réchauffement sur la santé. Mais, dans l’Hexagone, et plus globalement en Europe tempérée, la problématique tarde à être prise en compte par les milieux scientifiques comme par les pouvoirs publics.
« Certains chercheurs développent des observations sur l’impact sanitaire du réchauffement, notamment dans le domaine des maladies infectieuses : nous sommes le pays de Pasteur, quand même, s’exclame Esther Benbassa. Mais ils travaillent isolément et dans leur domaine. » La sénatrice EELV a peiné à dénicher des spécialistes pour lancer le premier colloque sur le thème « Changement climatique : quelles conséquences sanitaires ? ». Organisé avec David Belliard, président du groupe écologiste au Conseil de Paris, et avec la collaboration de l’association Notre affaire à tous (1), l’événement se tiendra au Sénat le 12 octobre. _« Le Sénat est peu sensible à la question, regrette aussi Esther Benbassa. Le réchauffement, voilà trente ans qu’on en parle. Après l’été qu’on a passé, les coups de chaleur qui se répètent, les typhons, les incendies, la hausse de maladies en lien avec l’environnement, on ne peut plus l’éviter. »
« La littérature scientifique en français est quasi inexistante sur le thème santé-climat, constate Emmanuel Drouet_, excepté quelques publications de l’OMS traduites et assez générales. Rien dans la presse médicale. Et rares sont les chercheurs qui s’y intéressent._ » Microbiologiste, docteur en pharmacie à l’université de Grenoble et responsable de l’onglet « Santé » sur l’Encyclopédie de l’environnement, site Internet piloté par une équipe d’universitaires exigeants, il est l’auteur de l’article « Changement climatique, quels effets sur notre santé ? ». « Entre 2030 et 2050, les changements climatiques devraient générer près de 300 000 décès supplémentaires par an dans le monde, en accroissant la malnutrition et la sous-alimentation des enfants, les maladies transmises par des insectes, les diarrhées et les stress liés à la chaleur […]_. Le coût estimé des dommages directs pour la santé se situe entre 2 et 4 milliards de dollars par an d’ici à 2030. »_
Un rapport de 2009 publié par la revue britannique The Lancet considérait déjà le changement climatique comme « la plus grande menace mondiale pour la santé publique au XXIe siècle ». « [Ses] effets sont déjà perceptibles aujourd’hui, et les projections pour l’avenir représentent un risque potentiellement catastrophique et d’une ampleur difficilement acceptable pour la santé humaine », conclut Emmanuel Drouet dans son article, qui a pour origine une synthèse réalisée pour la Réunion interdisciplinaire de chimio-thérapie anti-infectieuse (Ricai) il y a… quatorze ans. « C’était une démarche citoyenne, parce que le réchauffement m’inquiète », confie le microbiologiste, qui a repris des éléments de cet exposé pour ses étudiants en médecine et l’a donc mis à jour régulièrement.
Les institutions ne sont pas complètement muettes. Le Haut Conseil en santé publique (HCSP) a publié le 26 février 2015 un rapport intitulé « Impacts sanitaires de la stratégie d’adaptation au changement climatique » (La Documentation française). Saisi par le directeur général de la santé, Jean-Yves Grall, dans le cadre du plan national d’adaptation au changement climatique 2011-2015 (Pnacc), le Haut Conseil avait réuni un groupe « adaptation et prospective » avec une « veille santé-climat », sous le pilotage de Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’Hôtel-Dieu. « Ce rapport ne se résume pas à une prédiction des impacts du changement climatique sur la santé des populations, mais il met en évidence les effets sanitaires directs ou indirects des actions planifiées et identifie les mesures nécessitant une évaluation approfondie dans le cadre des interventions choisies. »
Le HCSP formule un certain nombre de recommandations, dont la mise en place d’un plan de gouvernance « de très long terme » sur le sujet santé-climat, le suivi des inter-relations climat-santé dans les objectifs des plans de santé publique (PNSE), dans ceux de la recherche et de la tenue des indicateurs (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), ainsi que la création d’un groupe interministériel de suivi des mesures climat-santé et des indicateurs sanitaires dédiés à cette surveillance. Il incite également à reconnaître la vulnérabilité des personnes âgées, notamment, à engager un travail sur l’architecture et les infrastructures, et à réduire l’impact et l’utilisation des énergies carbonées. Enfin, il souhaite voir la création d’observatoires croisés climat, biodiversité et risques sanitaires, et soutient l’implication de la nouvelle structure Santé publique France dans des objectifs de prévention adaptés.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a pour sa part édité, le 19 avril 2018, un document sur « les risques induits par le changement climatique sur la santé des travailleurs ». « L’expertise met en évidence le fait que tous les risques professionnels sont et seront affectés par le changement climatique et les modifications de l’environnement, à l’exception des risques liés au bruit et aux rayonnements artificiels. Sont principalement en cause la hausse des températures, l’évolution de l’environnement biologique et chimique, et la modification de la fréquence et de l’intensité de certains aléas climatiques. » L’Anses recommande de mobiliser « sans délai » le monde du travail, mais aussi d’« identifier des indicateurs pertinents liés à l’impact du changement climatique sur la santé » et de « renforcer l’étude des liens entre les paramètres climatiques et environnementaux et leurs effets sur la santé ».
Des impulsions institutionnelles bienvenues, mais qui restent assez générales et ne sont pas encore suivies d’effets, notamment concernant la progression et le partage des connaissances. « En matière d’impact du réchauffement sur la santé, il existe des prédictions réalisées à partir de modèles mathématiques : on compare par exemple ce qui se passe entre 2000 et 2018 à ce qui s’est passé entre 1980 et 2000, explique Emmanuel Drouet. Cela s’est fait pour les hausses de température et les maladies vectorielles. Pour certaines pathologies, ces prédictions sont intéressantes ; pour d’autres, elles sont sujettes à caution. »
Autre type d’approche : les évidences fondées sur des observations scientifiques. C’est ce qui s’est fait notamment pour les coups de chaleur survenus en Europe en 2003, 2015 et 2018, « mais aussi des maladies vectorielles comme le paludisme ou la dengue, où les chercheurs notent que ces pathologies se déplacent et s’étendent : on a vu apparaître la dengue au Népal ! À plus de 2 000 mètres ! Idem en Chine tempérée. » Mais qui pour rassembler et croiser ces données ? Lesquelles sont directement imputables au réchauffement climatique et lesquelles sont plus généralement la résultante du changement climatique ? Dans les documents du HCSP par exemple, c’est du second qu’il est question.
Concernant l’impact sanitaire, Emmanuel Drouet tient à la distinction entre changement et réchauffement climatique. Pour lui, les maladies causées par la pollution sont à relier au changement climatique, mais pas strictement au réchauffement. Idem pour les maladies de la peau, liées à la hausse des gaz à effet de serre, mais pour lesquelles d’autres facteurs entrent en jeu avec des « effets cumulés ». Emmanuel Drouet, prudent, isole six grandes familles d’impacts sanitaires imputables au réchauffement : la sous-nutrition et la malnutrition, les coups de chaleur, les infections liées au réchauffement de l’eau (choléra), les événements extrêmes (cyclones, tsunami), le groupe stress-santé mentale-suicides et enfin les maladies vectorielles.
« Les institutions restent globalement climatosceptiques, alors que tout le monde a dans sa famille quelqu’un qui souffre d’une maladie en lien avec le changement climatique. Ce colloque a pour objectif de dire les choses, de poser les premières pierres, mais sans semer la panique : pas d’écologie punitive ! », prévient Esther Benbassa.
« Mes étudiants sont en effet vite effrayés par le tableau que je leur dresse », admet Emmanuel Drouet, qui insiste sur la nécessité d’étayer chaque déclaration par des observations, en gardant « une attitude froide : ne pas surjouer la catastrophe ». Le colloque du Sénat, auquel il participe, est pour lui l’occasion de susciter un partage de connaissances, autour du concept d’exposome, par exemple (cumul des expositions aux facteurs environnementaux), et le lancement d’études interdisciplinaires. « Certaines disciplines sont négligées, comme l’entomologie, qui décroît. » Il garde bon espoir, car, espère-t-il, « le climat rassemble, et de plus en plus ».
(1) Politis est également partenaire du colloque.