Dans l’intimité de Prince

L’album posthume Piano & a Microphone 1983 dévoile un artiste d’avant la gloire, inspiré et bouleversant.

Pauline Guedj  • 2 octobre 2018 abonné·es
Dans l’intimité de Prince
© photo : Torbjorn Selander/afp

Prince compte parmi les artistes les plus « piratés ». Tout au long de sa carrière, son immense productivité a donné lieu à quantité d’enregistrements diffusés on ne sait trop comment et par qui, puis revendus chez les disquaires.

Avant l’avènement d’Internet et même du CD, c’étaient des cassettes inlassablement dupliquées qui circulaient. Le son en était altéré, la musique souvent accélérée, mais, pour les fans, ces cassettes constituaient autant de trésors qui leur permettaient d’entrevoir une facette de leur artiste préféré souvent inconnue de ceux qu’ils appelaient « le grand public ». On y trouvait des concerts donnés la nuit dans des clubs, des morceaux inédits, les premières versions de titres publiés et des répétitions.

Avec Prince, il y avait de quoi faire. Les nouveautés pleuvaient, et découvrir cet artiste revenait à s’adonner à un jeu de piste mêlant enregistrements officiels et marché noir.

Depuis la mort de Prince en 2016, la question des pirates est au cœur de plusieurs débats, d’abord parce que l’éditeur Prince Estate a décidé de mener devant la justice certains de leurs entremetteurs, ensuite parce que le décès de l’artiste donne un accès renouvelé aux coffres de Paisley Park, demeure et studio de Prince à Minneapolis, où des milliers d’enregistrements audio et vidéo étaient contenus dans ce qu’il est de coutume d’appeler le « Vault ».

Un archiviste est dorénavant responsable du fonds, et les questions sur son traitement sont nombreuses. Quels seront les enregistrements retenus pour les disques posthumes ? Va-t-on continuer à découvrir de nouveaux aspects de la carrière de Prince, cette fois-ci dans le cadre d’une diffusion officielle et contrôlée ?

À ces questions, le Prince Estate a répondu à trois reprises. Un single a été publié, « Nothing Compares 2 U » dans sa version originale ; puis un coffret autour de l’album Purple Rain contenant des morceaux inédits, parmi lesquels des pépites (« Wonderful Ass », « Can I f**k with you ? », « Possessed ») ; et récemment ce Piano & a Microphone, point d’orgue absolu de ces sorties. Un disque incontournable.

Pour les fans, l’enregistrement est depuis longtemps connu sous plusieurs titres : Intimate Moments, Piano Sessions… Trente-cinq minutes de répétition de 1983. Une sorte de Graal parce qu’on y entend Prince dans une configuration improbable : chez lui, seul avec un ingénieur du son, au piano, chantant des morceaux inédits, des reprises et une première version de « Purple Rain » avant que celle-ci ne soit gravée sur le disque du même nom. Une suite musicale captant un Prince d’avant la gloire, le tout enregistré sur une cassette audio retournée à mi-­parcours par l’ingénieur du son.

Choix curieux de la part du Prince Estate, le disque ne se prête pas à une écoute distraite. Choix inspiré cependant si l’on considère cet enregistrement « document » comme une plongée dans la facture de l’œuvre. Prince y est au travail. Il affine sa voix, plaque des accords bluesy, percute et caresse son piano, s’autorise des envolées de soliste. Dans une même session, il passe des profondeurs abyssales d’une tristesse lancinante (« Wednesday », « Why the Butterflies ») à une légèreté sensuelle (« International Lover ») et à un humour potache (« Cold Coffee & Cocaine »). Comme à son habitude, il mêle les genres, funk, soul, jazz, folk et ici gospel pour un « Mary Don’t You Weep » bouleversant.

Prince se vit en interprète frénétique, aux possibilités infinies, mais aussi en chef d’orchestre. Il pense à voix haute, chante les lignes de basse, scatte les parties de batterie, claque des doigts, tape du pied. De tout son corps, il élabore l’orchestration des morceaux, imagine leur déploiement en studio et sur scène.

Petite souris cachée sous un piano, l’auditeur assiste alors à un instantané de l’immense pouvoir créatif du musicien. Il est sans cesse surpris et vit une expérience rare, une immersion totale dans la musique de Prince.

Piano & a Microphone 1983, Prince, Warner, NPG Records, The Prince Estate.

Musique
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