Espagne : sortir de l’ornière néolibérale
La feuille de route du gouvernement de Pedro Sánchez, fruit d’un pacte entre le PSOE, son parti, et Podemos, laisse présager la fin, à tout le moins la suspension, de dures années marquées par les politiques d’austérité.
dans l’hebdo N° 1525 Acheter ce numéro
Et si l’Europe se laissait surprendre par un sursaut progressiste venu d’Espagne, là où on croyait le socialisme du PSOE emporté par la disparition du bipartisme en même temps que la gauche radicale de Podemos, le parti de Pablo Iglesias, en perte de vitesse ? La feuille de route du gouvernement de Pedro Sánchez, fruit d’un pacte entre le PSOE, son parti, et Podemos, laisse présager la fin, à tout le moins la suspension, de dures années marquées par les politiques d’austérité.
Le budget général de l’État espagnol pour l’année 2019 est certes encore en attente de validation par les Cortes, le Parlement. Mais le texte avance quelques mesures prometteuses, dont une augmentation significative du salaire minimum, qui passerait de 735 à 900 euros brut par mois (1). Son coût prévu (340 millions d’euros) serait vite digéré si la mesure venait à bénéficier rapidement aux principales victimes de la crise. À commencer par les jeunes, dont les perspectives d’avenir sont si réduites que des centaines de milliers d’entre eux ont été contraints d’émigrer depuis 2009, principalement dans d’autres pays européens. Car le taux de chômage au sein de cette population frôle 40 %, soit deux fois la moyenne européenne. L’université est par ailleurs si onéreuse qu’ont émergé les « nini », pour « ni travailleur ni étudiant ».
L’accord budgétaire prévoit aussi de belles promesses : un accès facilité aux bourses et une réduction des frais universitaires, une augmentation de la subvention annuelle par enfant, ou encore des mesures liées au logement : il faut, selon le texte, « blinder sa fonction sociale et éviter la spéculation ». Les seniors, très impactés par le néolibéralisme à l’espagnole, ne sont pas en reste : les retraites les plus basses devraient être augmentées (plus d’un milliard d’euros de dépenses).
Plutôt que de se « droitiser » en allant vers le parti libéral Ciudadanos, allié du Parti populaire (droite, PP), le PSOE a fini par s’entendre avec Podemos pour établir des budgets donnant à l’Espagne des airs de Portugal. Un virage à 180 degrés pour ce pays plutôt enclin à appliquer les coupes budgétaires ordonnées par l’orthodoxie bruxelloise. Et tant pis si le déficit doit dépasser d’un demi-point les prévisions. Pourtant, avant que le leader socialiste ne réussisse à dégager une majorité absolue, le 1er juin dernier, pour renverser Mariano Rajoy, au pouvoir depuis 2011, une telle politique était difficilement envisageable en Espagne.
Passé la bonne surprise de la chute du PP, d’autres sont vite arrivées. Sánchez a formé le gouvernement le plus féminin de l’histoire espagnole : onze femmes et six hommes. Une dizaine de jours plus tard, il permettait le débarquement des migrants de l’Aquarius dans le port de Valence. En juillet, les leaders indépendantistes catalans étaient transférés dans des prisons catalanes. En août, Sánchez a même eu le courage de briser le tabou absolu de la mémoire espagnole en annonçant le retrait du corps de Franco du très polémique « Valle de los Caídos ».
Le gouvernement socialiste aborde les thématiques d’intérêt général à vive allure, comme s’il craignait de ne pas rester longtemps au pouvoir. Aujourd’hui, c’est précisément de l’adoption du budget que dépend sa survie, au moins jusqu’au terme de la législature (2020). Si Sánchez ne parvient pas à obtenir la majorité absolue, il sera contraint de convoquer de nouvelles élections générales. Un scrutin qui, selon le pronostic d’Enric Juliana, directeur adjoint du journal catalan La Vanguardia, tomberait logiquement en mars 2019, juste avant les élections européennes et municipales (26 mai). « Ce que doit montrer le parti socialiste à la société espagnole, ce n’est pas qu’il est davantage de gauche ou droite, mais qu’il est solide », a argumenté Juliana sur le plateau de la chaîne privée espagnole La Sexta.
Le hic de cet accord PSOE-Podemos, c’est qu’il dépend de la fragile majorité obtenue lors de la motion de censure en juin (180 députés contre 169), et notamment des dix-sept députés indépendantistes catalans. La feuille de route espagnole se retrouve tributaire du calendrier des procès de l’indépendantisme catalan. Actif sur tous les fronts, c’est sans doute sur celui de Catalogne que le président du gouvernement espagnol joue son avenir. Pour l’instant, les sondages placent en tête le PSOE en cas d’élections anticipées. Mais pas suffisamment pour éviter une coalition ; c’est pourquoi Sánchez a tout à gagner à montrer qu’il sait se rapprocher des partis aux intérêts divergents.
(1) Sur 14 mois (la norme en Espagne), ou 1 050 euros sur 12 mois.