Italie : championne d’Europe du bio
Outre les questions de santé et d’environnement, la filière biologique italienne se mobilise pour les conditions de travail des travailleurs étrangers.
dans l’hebdo N° 1525 Acheter ce numéro
Pour Vincenzo Vizioli, président de l’Association italienne pour l’agriculture biologique (AIAB), c’est la demande des consommateurs qui a suscité la progression très importante de l’agriculture biologique en Italie. Outre les questions de santé et d’environnement, la filière se mobilise pour les conditions de travail des travailleurs étrangers, très nombreux dans les exploitations agricoles.
L’Italie est devenue le pays d’Europe comptant le plus d’exploitations biologiques. Comment expliquez-vous ce résultat ?
Vincenzo Vizioli : Il faut bien comprendre que cette augmentation très importante a été en quelque sorte dictée par le marché : elle n’est en rien le résultat d’une volonté politique. C’est la demande des consommateurs italiens qui a contraint les marques et la grande distribution à ne plus ignorer l’existence de l’agriculture biologique et à pénétrer ce marché. On observe que deux filières se sont mises en place : d’un côté, la bio industrielle pour la grande distribution ; de l’autre, la bio de proximité, liée à des valeurs, pour la prévention du changement climatique, l’aménagement raisonné des territoires et la protection de la santé, à commencer par les producteurs eux-mêmes – premières victimes des pesticides.
Rencontrez-vous des problèmes particuliers avec l’actuel gouvernement, composé de la Ligue (extrême droite) et du Mouvement 5-Étoiles ?
L’action de ce gouvernement en la matière ne diffère pas vraiment de celle des précédents : aucun n’a jamais donné une impulsion politique efficace à l’agriculture biologique.
Quant à la discussion sur la politique agricole à venir, l’essentiel des préoccupations s’est focalisé sur les questions comptables : combien cela rapportera-il ? Or, cette vision à court terme est suicidaire. Tous les deux ans, l’Institut national pour la protection de l’environnement procède à des relevés du taux de pesticides dans les eaux en surface et en profondeur. En 2007, il y avait trace d’environ 155 pesticides ; aujourd’hui, nous en sommes à plus de 200. Pourtant, force est de constater que les responsables politiques continuent de suivre des logiques disons populistes, considérant qu’on doit laisser les agriculteurs agir comme ils veulent, sans contraintes de l’autorité publique.
L’agriculture en Italie emploie de nombreux immigrés, sous-payés et précaires. Comment répondez-vous à cette exploitation dans l’agriculture bio ?
À l’infamie que constitue l’exploitation sans vergogne des personnes qui sont dans une difficulté extrême, comme les migrants, s’ajoute le fait de ne pas reconnaître aux exploitants le juste prix de leurs produits. C’est pourquoi notre association a créé un label AIAB, qui considère comme bio un produit payé à un prix juste et, outre les garanties du bio, qui soit 100 % italien. Non par chauvinisme, mais parce que la grande distribution répond à la demande par des importations (parfois de très loin) qui coûtent moins cher que de produire en Italie. C’est absurde en termes de développement durable.
Concernant les travailleurs étrangers, à ce jour, aucun ministre, ni de droite ni de gauche, de même qu’aucun dirigeant de syndicat agricole, n’a reconnu la dette de notre pays vis-à-vis d’eux. Or, la fameuse « excellence italienne » en matière alimentaire, vantée par tous, nous la leur devons en grande partie. Le lait pour fabriquer le parmesan est collecté par des Indiens sikhs ; dans les Apennins travaillent des Slaves ; les récoltes de fruits et de légumes dans le Sud sont faites par des Africains… Durant la dernière campagne électorale, on a entendu certaines personnes dire que les immigrés étaient sales et dangereux, mais elles ont oublié de dire que ces mêmes immigrés nous rapportent beaucoup ! Parce que récolter des oranges en étant si peu payé, personne ne le fait à moins d’y être contraint par la faim et la misère.