Le Premier ministre et la retraitée
Il en va ici comme dans à peu près toutes les réformes d’Emmanuel Macron. Il s’agit de faire passer des intérêts particuliers pour l’intérêt général, et la baisse de la fiscalité sur le capital pour un bien commun.
dans l’hebdo N° 1522 Acheter ce numéro
Ou bien le gouvernement aime les « emmerdes », ce que ses partisans ne manqueront pas d’appeler le « courage », ou bien il se doit de répondre à des commandes plus ou moins explicites mais tout à fait impérieuses. Toujours est-il qu’il ouvre avec sa réforme des retraites une période de conflits et promet à notre société de nouvelles fractures. Pas vraiment ce qu’il faudrait quand on prétend vouloir faire barrage aux populismes. Mais c’est ainsi. Le coup est parti. Nous sommes entrés cette semaine dans une période de « concertation » qui devrait conduire à l’établissement d’un calendrier pour les six prochains mois. Drôle de concertation en vérité puisque tout le monde, ou presque, sait où Emmanuel Macron et Édouard Philippe veulent en venir. L’incrédulité est d’ailleurs la marque du moment présent, d’où les sondages calamiteux, et des envies de fuite chez certains barons de la macronie. Ce qui rend assez particulier ce remaniement ministériel quand les candidats au départ, lorgnant déjà sur les municipales, sont plus nombreux que les postulants…
Avec la réforme des retraites, il s’agira donc, comme le souhaite ardemment le Medef, de contraindre les salariés à travailler plus longtemps. Mais cette affaire, au-delà même de la question sociale, est surtout un cas d’école de la méthode gouvernementale. La politique semble plus que jamais devenue un art de la dissimulation. Ainsi, le gouvernement n’a de cesse de réaffirmer que « l’âge légal » du départ en retraite reste fixé à 62 ans, mais il a inventé, pour tromper son monde, un nouveau concept : « l’âge pivot ».
Officiellement, on ne touche pas à l’âge légal, mais on crée un autre seuil qu’il faut atteindre pour toucher sa retraite à taux plein. Et cet âge pivot sera un peu comme l’horizon : il reculera à mesure que les salariés croiront s’en rapprocher : 63 ans dès la mise en œuvre de la réforme, 64 ans quelques années plus tard, 65 ans par la suite… Le système sera même aggravé par une autre manigance : le bonus-malus. La retraite complémentaire sera amputée d’une « décote » si le salarié s’arrête à l’âge légal, et il sera récompensé d’une prime s’il accepte de travailler deux années supplémentaires. Le retraité comme produit de marché… En guise de hors-d’œuvre à toutes ces joyeusetés, le gouvernement a déjà commencé à pénaliser les retraites avec la hausse de la CSG.
Cette affaire a donné lieu à une passe d’armes entre le Premier ministre et une retraitée lors d’une récente émission de télévision (1). La dame fit remarquer que le gouvernement venait de leur retirer, à elle et à son mari, 66 euros, soit « un caddy au supermarché ». On vit alors deux mondes s’affronter. Un Premier ministre qui tentait d’expliquer à sa joviale interlocutrice qu’il fallait « relancer l’économie » et qu’avec ses 66 euros on allait augmenter le pouvoir d’achat des actifs. « Vous allez prendre dans la poche des parents de quoi augmenter les enfants », résuma la dame, pas intimidée. Imparable. C’est le partage des richesses version Medef, entre petites retraites et petits salaires.
Voilà donc la retraitée, avec ses 1 200 euros de pension, investie de la lourde charge de « remettre de l’ordre dans les finances publiques », et même de « faire redémarrer le pays ». Diantre ! Après quoi l’économiste Daniel Cohen porta l’estocade en observant que les 4,5 milliards que rapportera à l’État la hausse de la CSG correspondent exactement à la baisse de la fiscalité du capital. On fait payer à la dame au caddy le cadeau consenti aux riches, et même aux très riches. Un grand moment de vérité télévisée !
La réforme qui se prépare ira évidemment beaucoup plus loin en attaquant les salariés sur un autre front, celui de l’âge réel de la retraite. Et c’est ici que l’on en revient à la méthode. Il paraît qu’une trentaine de députés de la majorité prennent actuellement des cours intensifs de langue de bois, pour laquelle ils ont déjà de bonnes prédispositions, avant d’entamer la tournée des villes et des campagnes pour expliquer la réforme à nos concitoyens. « Faire de la pédagogie », dit-on.
Le grand mot est lâché. Ce mot superbe qui signifie « éduquer les enfants », que les politiques finissent par rendre détestable quand les enfants ne sont rien d’autre que nos concitoyens, et nous-mêmes. Et quand nos élus se prennent pour le vicaire savoyard de Rousseau, avec ses leçons de morale. Cette « pédagogie » par laquelle des politiques se dressent de toute leur condescendance au-dessus du commun des mortels est blessante. On aura compris que ce n’est pas tant la réforme des retraites qui nous intéresse ici (d’autres plumes, plus avisées, y reviendront dans Politis dans les prochaines semaines) qu’une méthode de gouvernement qui est une rhétorique du mensonge. Car il en va ici comme dans à peu près toutes les réformes d’Emmanuel Macron. Il s’agit de faire passer des intérêts particuliers pour l’intérêt général, et la baisse de la fiscalité sur le capital pour un bien commun. Avec une telle politique, on n’est pas près de changer de logiciel, comme nous y invite l’appel pressant des climatologues. Car tout se tient hélas, et fait système.
(1) « L’Émission politique », France 2, le 27 septembre.
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