Les promesses de l’aube
Deux ouvrages nous aident à désamorcer consumérisme et productivisme.
dans l’hebdo N° 1523 Acheter ce numéro
Dix ans après le krach, elle agonise. Brexit, Trump, Poutine, Salvini ou Orban signalent le crépuscule de l’hégémonie néolibérale. Le FMI s’alarme déjà de la prochaine catastrophe financière. Mais inutile de compter sur les dirigeants actuels pour tourner le dos au néolibéralisme et au populisme xénophobe, qui s’alimentent si bien mutuellement. Deux ouvrages tout juste publiés nous aident à penser ces politiques.
Éric Heyer, Pascal Lokiec et Dominique Méda (1) – respectivement économiste, juriste et sociologue – proposent de démocratiser le travail, notamment par un droit de codétermination (c’est-à-dire de veto) du comité social et économique (l’organe qui remplace les représentants élus du personnel dans l’entreprise). Ils suggèrent une nouvelle « règle d’or des finances publiques » : l’impôt pour financer les dépenses courantes, l’emprunt pour l’investissement public. L’Europe pourrait ainsi financer sa transition et devenir une « zone de haute qualité écologique et sociale ».
Mais ces auteurs ne disent pas que faire en cas de refus des partenaires européens. C’est là que Gilles Raveaud, dans un ouvrage bourré d’idées (2), va plus loin. Reconnaissant la quasi-impossibilité de réformer l’UE, il souligne aussi que ce n’est pas un problème : les traités ne régentent pas tout, et in fine l’Union n’a aucun pouvoir coercitif sur les États. « Rien n’interdirait à un gouvernement français de prendre des décisions aussi importantes que de nationaliser les banques, réduire massivement le temps de travail, mettre en place une fiscalité plus redistributive », avance l’économiste. Pour financer la transition, « il ne serait pas très difficile d’exclure les sommes en jeu des critères européens de déficit, puisqu’elles jouent un rôle irremplaçable de préparation de l’avenir ». En cas de désaccord, il faudrait alors « désobéir à l’Union européenne pour sauver l’Europe ». Voilà qui est bien dit.
Renoncer à la croissance, redistribuer les richesses, redonner du pouvoir et du sens au travail, financer et planifier la transition écologique… Le socle commun entre ces deux livres est solide. Toutefois, une question majeure n’est pas traitée : comment prendre un tel virage sans s’affranchir du fardeau de la dette publique et de la tutelle des marchés financiers, où les taux d’intérêt sur les emprunts d’un pays rebelle risquent de flamber ? Taxe exceptionnelle sur les grandes fortunes, annulation de dettes, socialisation des banques, contrôle strict des mouvements de capitaux, monnaie fiscale complémentaire… Il faudra oser des mesures radicales. Comme dans la lutte contre le réchauffement climatique, une politique des « petits pas » contre la finance serait vouée à l’échec.
Ces deux livres s’accordent néanmoins sur la nécessité, plutôt que de relancer la machine à croître et à polluer, de désamorcer consumérisme et productivisme : passer de la croissance au « paradigme du prendre soin » (le 1er livre cité), « maîtriser nos désirs » et « retrouver le sens de la vie » (le 2e). Autant d’impératifs pour renouveler l’imaginaire social de la transformation.
(1) Une autre voie est possible, Flammarion.
(2) Économie, on n’a pas tout essayé !, Seuil.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.