Loi Pacte : « intérêt social » de l’entreprise et administrateurs salariés, une diversion
TRIBUNE. Christopher Swaim et Cyril Zekri montrent que les dispositions du projet de loi Pacte sur « l’intérêt social » de l’entreprise et les administrateurs salariés n’amélioreront pas la situation des travailleurs.
Le projet de loi « relatif à la croissance et la transformation des entreprises » ou « Pacte », en cours d’examen au Parlement, entend transformer le « modèle d’entreprise français pour l’adapter aux réalités du XXIe siècle ». Deux de ses dispositions portent sur l’objet et le gouvernement de l’entreprise et s’inspirent des recommandations du rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » réalisé par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard.
La première (article 61) prévoie notamment de remplacer la référence du Code civil au seul « intérêt commun des associés » par une référence à « l’intérêt social » de l’entreprise et aux « enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
La deuxième (article 62), augmente le nombre des administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés de plus de 1 000 salariés en France ou 5 000 salariés en France et à l’étranger.
On peut noter que la reformulation de l’objet de l’entreprise n’entraînera aucune contrainte juridique pour ses dirigeants. Quant aux conseils d’administration, la place que le projet de loi entend y réserver aux représentants des salariés apparait en deçà de ce qui prévaut dans le système allemand dit de « codécision ».
Niveaux records de dividendes
Mais le choix même de s’attacher à l’objet de l’entreprise et à la composition du conseil d’administration n’est pas de nature à « favoriser une prise en compte sur le long terme » non seulement des intérêts des actionnaires, mais aussi « des salariés et des parties prenantes de l’entreprise » (lettre de mission du gouvernement à Nicole Notat et Jean-Dominique Senard).
La primauté accordée aujourd’hui à la rémunération de actionnaires, qui se traduit par des niveaux records de dividendes, ne résulte en effet pas de contraintes juridiques relatives à l’objet de l’entreprise.
À propos des conseils d’administration, il faut rappeler que les entreprises sont dirigées par des dirigeants, investisseurs, banquiers d’affaires, qui, du fait de leur nombre restreint, se passent d’un cadre formel pour délibérer et arbitrer entre eux. À moins peut-être d’une parité entre administrateurs tirant leur légitimité de l’assemblée générale des actionnaires et administrateurs issus de la représentation des salariés, les conseils d’administration demeureront les chambres d’enregistrement des décisions prises par ces milieux d’affaires.
Enfin et surtout, les recommandations du rapport Notat-Senard et les articles 61 et 62 du projet gouvernemental interviennent alors que les « ordonnances Macron » parachèvent le recentrage des entreprises sur les seuls milieux d’affaires entrepris sous la présidence de François Hollande.
Moins d’heures de délégation pour les CE et CHSCT
Les dispositions du Code civil sur l’objet de l’entreprise et celle du Code du commerce sur son gouvernement sont en effet complétées par celles du Code du travail. Celui-ci prévoit des institutions représentatives des salariés auxquelles sont reconnues des attributions économiques, sociales et sur les conditions de travail, conformément aux aspirations du programme du Conseil national de la Résistance. Les comités d’entreprise (CE), dès 1946, et, à partir de 1982, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), se sont notamment vu reconnaître le droit de diligenter leurs propres experts, avec des pouvoirs d’investigation étendus : réalisation d’entretiens avec les salariés et observation directe sur les lieux de travail pour les experts des CHSCT ; accès à l’ensemble de la documentation existante pour les experts des CE, qu’il s’agisse d’analyser la stratégie mondiale d’une groupe ou le détail d’écarts de rémunération.
Certes les attributions des CE et des CHSCT sont demeurées pour l’essentiel consultatives. Mais, loin de lever cette limite, les gouvernements se sont attachés depuis 2012 à défaire les acquis contenus dans le Code du travail. La loi sur la sécurisation de l’emploi en 2013, celle relative au dialogue social et à l’emploi en 2015, la loi travail en 2016, puis les « ordonnances Macron » de 2017 ont remis en cause en cause les attributions des CE et des CHSCT. En 2013 et en 2015, déjà, cela s’accompagnait d’une augmentation du nombre de représentants des salariés au sein des conseils d’administration.
En 2019 au plus tard, les CE et les CHSCT seront remplacés par des comités sociaux et économiques. Les salariés auront désormais moins de représentant, lesquels auront moins d’heures de délégation et une moindre présence sur les lieux de travail. Quant au droit à l’information à travers les experts du CE et du CHSCT, tout (délais, financement, possibilités de contestation et d’interférence pour l’employeur…) a été prévu pour qu’il ne puisse être pleinement exercé.
Alors que s’accomplit le projet énoncé en 2007 par Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, de « sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance », les dispositions du projet de loi Pacte sur « l’intérêt social » de l’entreprise et les administrateurs salariés relèvent d’une bien dérisoire manœuvre de diversion.
Christopher Swaim est consultant
Cyril Zekri est avocat
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