Michel Foucault : Archéologue de la sexualité
La publication de deux séries de cours inédites datant des années 1960 documente l’œuvre à venir de Michel Foucault.
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En janvier dernier paraissait l’inédit sans doute le plus important de Michel Foucault : Les Aveux de la chair (1), quatrième tome inachevé de sa monumentale Histoire de la sexualité, dont le premier volume parut en 1976 et les deux suivants quelques semaines avant sa mort, du sida, en juin 1984. Longtemps soumis à l’adresse édictée par le philosophe (« pas de publication posthume »), ses ayants droit avaient finalement décidé de passer outre, près de trente-cinq ans après sa disparition, sachant que ce quatrième et dernier opus de près de 400 pages était alors quasi terminé (mais seulement partiellement relu et corrigé par son auteur) et que l’attente de nombreux lecteurs était immense.
L’intérêt des deux cours publiés aujourd’hui, le premier datant de 1964 et prononcé à l’université de Clermont-Ferrand (La Sexualité), le second donné à la toute jeune et originale université de Vincennes en 1969 (Le Discours sur la sexualité), est de montrer que la grande œuvre qui occupa la fin de la vie de Foucault fut en fait entamée, esquissée et travaillée bien plus tôt, dès le mitan des années 1960. C’est-à-dire à une époque où travailler sur la sexualité était pour le moins incongru, celle-ci étant généralement considérée comme un non-objet scientifique. Foucault démentit cette assertion absurde, qui reposait d’abord sur une certaine pruderie. Et ouvrit ainsi les sciences sociales à un immense champ de recherches.
Que découvre-t-on dans ces deux séries de cours jamais publiés et prononcés à cinq années d’intervalle ? On y voit d’abord que le projet de Foucault s’inscrit pleinement dans ses travaux de la seconde moitié des années 1960, marqués par le projet de se livrer à une « archéologie de concepts-limites » : archéologie de l’anatomo-clinique avec la mort et la maladie comme objets (Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, 1963) ; archéologie de la folie (Histoire de la folie à l’âge classique, 1964) ; et surtout archéologie des sciences humaines, quand il interroge la place de l’homme dans la pensée occidentale (Les Mots et les Choses, 1966), jusqu’à son Archéologie du savoir (1969).
Mais surtout, alors que l’Histoire de la sexualité ne devient un ensemble de livres qu’à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ces deux séries de cours montrent que la sexualité est aussi l’un de ces « concepts-limites ». Il s’agit, précise l’éditeur de l’ouvrage, Claude-Olivier Doron, de montrer comment ces objets « instituent des limites qui rendent possible un certain savoir mais qui, du même coup, refoulent une expérience au-delà de la limite ». Et le présentateur de ces cours d’ajouter : « La sexualité en offre – avec la mort et la folie – un exemple parfait, d’où son importance dans le projet foucaldien d’une archéologie des sciences humaines. » Un exemple par lequel, écrit Foucault, « une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l’Extérieur »…
La Sexualité, suivi de Le Discours sur la sexualité, Michel Foucault, éd. Claude-Olivier Doron, EHESS/Gallimard/Seuil, « Hautes Études », 288 pages, 25 euros.
(1) Éd. Frédéric Gros, Gallimard, 2018, 436 pages, 24 euros.