Ohad Naharin et le ballet israélien Batsheva : rétablir quelques vérités
Le débat sur le boycott culturel d’Israël rebondit autour de l’attitude controversée du chorégraphe Ohad Navarin.
De nombreux articles de la presse nationale ont donné la parole à Ohad Naharin, le directeur du ballet israélien Batsheva, à l’occasion de sa tournée dans le cadre de la « saison croisée France-Israël ».
Cette saison est contestée par la Campagne BDS France comme par de nombreux artistes français qui dénoncent une opération de blanchiment du régime israélien par la culture. Ces articles tendent tous à présenter Ohad Naharin comme un opposant au régime israélien victime à tort du boycott culturel, ce qui est très discutable au vu des faits.
Certains tendent aussi comme l’article de Libération du 17 octobre dernier (1) à dévaloriser la campagne BDS en France, indiquant par exemple que « les menaces sont plus virulentes cette année ». Les journalistes veulent sans doute parler des manifestations organisées par BDS, mouvement non violent qui informe et dénonce, et le terme est donc impropre.
L’argument aussi avancé est que Naharin dénonce dans des discussions avec le public, l’occupation israélienne et un certain racisme dans la société israélienne. Cela n’est pas contestable, ici en Europe, mais il serait difficile de trouver un mot de lui dénonçant dans son pays les innombrables violations des droits humains et du droit international de son pays .
Naharin prétend qu’il ne pourrait pas engager sa troupe s’il n’acceptait pas le cadre institutionnel israélien, en arguant du fait que, comme tout citoyen israélien, il paye des impôts. Or ce n’est pas ce qui lui est reproché. La troupe Batsheva qu’il dirige est en réalité financée de manière importante par l’État israélien mais également par des entreprises soutenant l’occupation et la colonisation (2).
Un régime d’apartheid
Tout ceci alors qu’en ce moment même, le régime israélien tue et estropie à Gaza sous blocus des centaines de manifestants désarmés, mobilisés pour le droit au retour. Bathseva accepte de représenter officiellement, dans le cadre de la saison croisée France-Israël par exemple, le régime qui veut raser le village bédouin de Khan al-Ahmar, poursuit la colonisation et instaure, de la Méditerranée au Jourdain, un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien, en constante violation du droit international.
Naharin pourrait, vue sa notoriété et celle de sa compagnie, présenter ses spectacles partout où il le souhaite sans le sceau d’Israël, et ne serait alors pas contesté comme c’est déjà le cas pour de nombreux artistes israéliens. Un artiste qui a une conception éthique de son travail ne peut pas moralement à la fois critiquer un État infréquentable et le représenter : il lui faut choisir, sauf à passer pour hypocrite et ou opportuniste.
Naharin pourrait s’inspirer de son collègue, le chorégraphe israélien Emmanuel Gat, qui a projeté des messages sur la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, dans le cadre de son dernier spectacle au Festival d’Avignon. Il pourrait aussi considérer le choix du metteur en scène et comédien Tiran, qui a quitté Israël cet été en déclarant qu’à ses yeux l’appel au boycott culturel d’Israël était légitime.
La posture d’Ohad Naharin est d’autant plus intenable qu’il prétend apparaître comme un opposant politique, tout en servant de vitrine au régime israélien, propageant ainsi l’illusion qu’Israël est une démocratie ouverte même à ses opposants. Sa productrice, qui précise dans l’interview du 17 octobre précité, que « les arts sont traditionnellement dans l’opposition, et notre devoir est justement de prendre l’argent de ce ministère, qui n’a pas le pouvoir de nous censurer, pour prendre la parole », ne peut ignorer la censure subie par de nombreux spectacles et théâtres palestiniens d’Israël. Démocratie pour les uns… Au moment où le régime examine la possibilité de pénaliser les militants du BDS par une peine de sept ans de prison, cette posture est une imposture.
La normalisation des relations avec l’État d’Israël est tout aussi intolérable aujourd’hui qu’elle l’était hier avec l’Afrique du Sud de l’Apartheid.
(1) Voir ici.
(2) Voir ici.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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