« Perdu connaissance » : Un récit tragi-coma

Dans Perdu connaissance, la compagnie Théâtre déplié poursuit son écriture collective du doute et son questionnement des vérités admises.

Anaïs Heluin  • 30 octobre 2018 abonné·es
« Perdu connaissance » : Un récit tragi-coma
© photo : Vincent Arbelet

E lle faisait ses courses au Casino et elle est tombée. » Formulée à la hâte par la comédienne Julie Lesgages, cette phrase sera la seule de Perdu connaissance à renseigner sur les causes du coma qui sert de point de départ au Théâtre déplié pour sa nouvelle création.

Fondé en 2007 par Adrien Béal et codirigé par Fanny Descazeaux (assistante à la mise en scène de la pièce et chargée de production), le collectif se consacre à des questions plus essentielles. À la possibilité d’une résistance à l’ordre établi dans Le Pas de Bême (2014), ou à la responsabilité individuelle face aux changements climatiques dans Récits des événements futurs (2015), en mettant à chaque fois ces sujets en relation avec les problématiques de fabrication d’un spectacle.

Consacré à la notion de vérité, Perdu connaissance s’inscrit dans cette démarche. « S’agit-il d’un besoin social ? Existentiel ? Et quelles sont nos manières d’y parvenir ? » s’interroge Adrien Béal sur la feuille de salle. Des questions philosophiques et politiques que le Théâtre déplié explore d’une manière concrète.

Une partie d’improvisation crée une sensation d’urgence, un exceptionnel renouvelé chaque soir autour de la disparition initiale, prétexte à la présentation d’un lieu et des personnages qui l’occupent : une école, dont la femme qui ne sortira pas du coma était la gardienne.

Dans Perdu connaissance, tout s’articule à partir du vide laissé par l’employée. Vide ­physique davantage qu’affectif, semble-t-il. Et, surtout, perte des habitudes, perturbation des vérités auxquelles participait l’évanouie.

Conçu au fil des répétitions par la scénographe Kim Lan Nguyen Thi, le décor qui s’offre à nous est à l’image de cette intranquillité. D’un côté, un bureau impersonnel, bien rangé, qui donne sur l’extérieur et sur un couloir coloré. De l’autre, dans la continuité, un petit espace domestique un peu désordonné avec juste ce qu’il faut pour une personne seule : un lit, une armoire et quelques autres meubles. Nous sommes dans la loge de la gardienne, apprend-on lorsque la sœur de l’absente (Julie Lesgages) y pénètre par une des deux entrées côté jardin pour annoncer la nouvelle à la directrice du lieu (Adèle Jayle). Nous découvrons les relations des différents personnages de la même manière, au cours de discussions qui se succèdent sans logique ni finalité apparente.

Si chacun tente d’abord d’agir selon sa position sociale, des rapports inédits se dessinent bientôt. Surtout lorsque la deuxième sœur (Boutaïna El Fekkak), tout juste sortie de prison, s’installe dans le logement laissé vacant. Peut-on faire confiance à une personne qui sort de prison ? Quel sort réserver à l’étranger ? Existe-t-il encore des formes d’hospitalité et est-il possible d’en inventer de nouvelles ?

Outre les questions existentielles soulevées par le coma, l’irruption de ce personnage pose aux protagonistes déjà cités, ainsi qu’à un parent d’élève (Cyril Texier), au mari de la première sœur (Étienne Parc) et à celui de la directrice (Pierre Devérines), de nouveaux problèmes. L’étrangeté légèrement inquiétante mais aussi souvent drôle, presque absurde, avec laquelle ils traitent leurs interrogations en fait des appels à repenser notre rapport à l’Autre et ses représentations.

Perdu connaissance, 8-19 novembre au T2G, Gennevilliers (92), 01 41 32 26 26 ; 18-20 mars aux Subsistances, Lyon (69) ; 27-28 mars à l’Hexagone, Meylan (38). Tournée sur theatredeplie.fr

Théâtre
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