Au nom du « peuple »

Ça fait pas mal de temps que je te vois fulminer contre « la gauche morale » qui se serait coupée des préoccupations d’une population « d’en bas ».

Sébastien Fontenelle  • 28 novembre 2018 abonnés
Au nom du « peuple »
© photo : CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Bon, mais finalement, et pour autant que tu l’aies un jour côtoyé d’un peu près, toi, ça fait combien de temps, exactement, que tu ne l’as plus approché à moins de trente-cinq kilomètres, « le peuple » ?

Non, je demande, parce que ça fait maintenant pas mal de temps que je te vois fulminer, depuis le discret surplomb sur lequel tu t’es juché·e (et à l’unisson des droites, éventuellement un peu lointaines, qui étaient seules jusqu’à présent à recourir à cette si problématique phraséologie), contre « la gauche morale » qui (se) serait selon toi complètement coupée, à force d’éloignement, des véritables préoccupations d’une population « d’en bas », dont elle ne saurait, par conséquent, ni les attentes, ni les craintes, ni les envies, ni les espoirs (liste non exhaustive).

Pas mal de temps que je te vois décréter que tu as seul·e pris la juste mesure de ce que pense et veut et vit ce « peuple » – pas comme les confortables « bobos (1) » pétitionnaires, planqué·e·s, dis-tu, devant leurs claviers, dont tu déplores par exemple les appels à mieux accueillir les migrant·e·s, car ces douillet·te·s puritain·e·s négligent, assures-tu (2), le fait que les petites gens ont trop de problèmes de fin de mois pour éprouver de telles compassions.

Pas mal de temps que tu considères donc, en creux, et dans un début d’adhésion de fait aux thèses extravagantes des théoricien·ne·s de l’« insécurité culturelle », que « le peuple (3) », dont tu postules là une insensibilité aux souffrances autres que les siennes, serait par définition inaccessible à de tels appels (qui seraient donc, dans le meilleur des cas, improductifs), mais bien plus enclin à tolérer la xénophobie.

Adoncques, ces temps-ci, je me demande un peu où tu pioches ta légitimité, et sur quelles observations tu t’appuies, pour dessiner ainsi (4), lorsque tu évoques « le peuple », et au prétexte de le valoriser, les contours d’un triste ramassis d’égoïstes – et pour disqualifier celles et ceux qui, sur ta gauche, pensent un peu différemment.

Je me demande, pour le dire autrement, ce que tu partages réellement de la condition de ces populations dont tu prétends savoir seul·e les aspirations – et si des fois tu ne serais pas un peu plus calfeutré·e dans des zones de tranquille confort que ne le suggèrent tes anathèmes contre cette gauche selon toi trop soucieuse du sort des migrant·e·s, dont tu assures si facilement et si légèrement qu’elle serait trop embourgeoisée pour être vraiment consciente des factualités sociales.

(1) Encore un mot dont tu devrais te défier au lieu d’en user avec la même libéralité que les médias dominants.

(2) Fort·e donc de ta parfaite connaissance, aussi, des conditions de leurs engagements et de leurs vies : ton omniscience, je te l’avoue, m’impressionne.

(3) Entité dont, soit dit en passant, tu ne définis jamais clairement les contours…

(4) Et pour mieux fustiger une gauche dont tu soutiens si abusivement qu’elle serait inattentive aux détresses salariales.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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