Gilets jaunes : Macron en panne sèche
Face à la colère des gilets jaunes, qu’il tente de discréditer, le Président ne bouge pas. Convaincant ni sur le volet social ni sur la transition écologique, il renvoie à plus tard des décisions urgentes.
dans l’hebdo N° 1529 Acheter ce numéro
Faire mine d’entendre les revendications des gilets jaunes sans changer de cap. Telle est bien la ligne de conduite d’Emmanuel Macron et de son gouvernement, qui, à cette fin, n’hésitent pas à discréditer ce mouvement de protestation populaire en l’assimilant à l’extrême droite. Mardi matin, frappez tambours, sonnez trompettes, le chef de l’État devait, à en croire le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, annoncer depuis l’Élysée des mesures « à court et à long terme » pour répondre aux « colères » exprimées par les gilets jaunes. En une heure de temps, le président de la République a certes affirmé éprouver « de la compréhension à l’égard des citoyens qui veulent faire passer un message », mais en réponse aux attentes des gilets jaunes il n’a avancé qu’une seule mesure concrète : la fiscalité des carburants sera révisée tous les trois mois pour l’adapter aux fluctuations des prix afin d’en limiter l’impact pour les Français qui utilisent beaucoup leur voiture. C’est le retour de la « TIPP flottante », un mécanisme imaginé et mis en place entre 2000 et 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin, et supprimé par la droite, quand la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétique (TICPE) s’appelait encore taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP).
Initialement, Emmanuel Macron devait seulement présenter la très attendue « programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE), qui doit fixer dans la loi la politique énergétique française d’ici à 2028. Et dessiner la marche à suivre d’ici à 2035 pour ramener à 50 % la part de l’atome dans l’électricité en France. Dix jours après l’émergence du mouvement des gilets jaunes, le chef de l’État était attendu sur les mesures d’accompagnement que son gouvernement envisageait de prendre pour rendre la nécessaire transition énergétique socialement supportable. Il s’est contenté de rappeler les mesurettes déjà annoncées par le Premier ministre et le ministre de l’Écologie, en matière de prime à la conversion, de chèque énergie et de remplacement des chaudières au fioul, tout en convenant que ces réponses sont « trop abstraites » pour nos concitoyens et qu’il faudra dans les trois mois, le temps d’en discuter avec les banques et les constructeurs, leur « apporter des solutions pragmatiques ».
Trois mois, c’est aussi le temps qu’Emmanuel Macron, en panne de réponses face à l’urgence sociale soulevée par le mouvement de contestation, entend donner à des concertations organisées au niveau local, avec les gilets jaunes priés d’y participer avec leurs propositions, pour trouver des solutions qui traitent à la fois de la « fin du monde » et des « fins de mois ». L’Élysée voudrait jouer le pourrissement du mouvement qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Tout en assortissant son propos de déclarations d’intention aussi suaves que vagues : « Je refuse que la transition écologique accentue les inégalités entre les territoires. » « Tout sera fait pour faire de cette transition écologique une écologie populaire. »
Des promesses dont on ne trouve pas vraiment traces dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités, présenté lundi matin en conseil des ministres par la ministre des Transports, Élisabeth Borne. Ce texte, qui ne répond que très marginalement aux problèmes soulevés par les gilets jaunes, propose des aides à la mobilité durable, en faveur du vélo, de la voiture électrique ou encore du covoiturage, mais « ne comprend rien qui aille dans le sens d’une écologie populaire », déplore La France insoumise. Certes, poursuit le communiqué du mouvement mélenchoniste, le gouvernement a renoncé à autoriser la création de péages urbains pour, dit-il, ne pas « accentuer les fractures entre territoires », mais « il maintient la possibilité de mesures ciblées contre les pauvres comme l’interdiction de circuler pour certains véhicules dans les grandes villes », et « les compagnies aériennes, les sociétés privées d’autoroute ne sont toujours pas mises à contribution pour financer des alternatives écologiques ». Des contributions réclamées par nombre de porteurs de gilets de sécurité routière, au nom de la justice sociale et fiscale, au même titre que le rétablissement de l’ISF.
Plutôt que d’entendre ces revendications, le gouvernement a tout au long du week-end préféré disqualifier le mouvement. En en minimisant l’ampleur, puisqu’il y avait selon le ministère de l’Intérieur plus de deux fois moins de manifestants recensés dans tout le pays, ces derniers étant recensés à l’unité près : 106 301 (!). Et en le réduisant à sa composante d’extrême droite. Dès la fin de matinée, samedi, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, attribuait les affrontements violents sur l’avenue des Champs-Élysées, couverts jusqu’à plus soif par les chaînes d’info, à des « séditieux » qui « ont répondu à l’appel notamment de Marine Le Pen », la présidente du Rassemblement national. « C’est la peste brune qui a manifesté sur les Champs-Élysées », a affirmé à son tour Gérald Darmanin sur RTL. Un propos que n’a pas désavoué le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux.
« Caricaturer [la] révolte [des gilets jaunes] en un mouvement extrémiste manipulé par l’ultradroite ou l’ultragauche serait une très grave erreur », avertissent douze des treize présidents de région métropolitains dans une tribune transpartisane publiée dans L’Opinion (27 novembre). Ces élus y appelaient l’exécutif à « changer de discours, reconnaître la souffrance de nos compatriotes et ne pas la nier […], prendre des mesures d’urgence et, en premier lieu, un moratoire sur la hausse des taxes au 1er janvier ». Ce n’est pas la voie retenue par Emmanuel Macron.
Ce week-end, en marge du Conseil européen extraordinaire sur le Brexit, le chef de l’État avait paru pourtant prendre la mesure de ce mouvement soutenu dans les sondages par 70 à 80 % des personnes interrogées, de tous bords politiques. « Il n’y a pas de projet de société et il n’y a pas de projet politique – au niveau national et européen – si nous n’apportons pas une réponse claire à nos classes moyennes et à nos classes laborieuses, avait-il expliqué, ce qui veut dire une réponse économique, sociale, mais aussi culturelle et de sens. »
Mardi, comme l’avaient déjà dit ses ministres avant lui, Emmanuel Macron a martelé qu’il n’était pas question de « changer de cap », la transition énergétique étant un engagement de sa campagne présidentielle. « On ne peut pas être lundi pour l’environnement et mardi contre la hausse du prix du carburant. » Sa conversion à l’écologie est toutefois trop soudaine pour être honnête. Le 4 août 2016, moins d’un mois avant qu’il quitte Bercy pour se lancer dans la course à la présidentielle, le ministre de l’Économie prenait position pour le diesel lors d’une visite sur le site de l’équipementier Bosch à Onet-le-Château, dans l’Aveyron, accablant au passage la politique d’Anne Hidalgo et de Ségolène Royal. Ce carburant « reste au cœur de la politique industrielle française » et du « projet industriel français de la mobilité environnementale », assurait-il alors en soulignant l’importance de l’industrie des véhicules diesel, autant pour « des millions de personnes qui l’achètent », que « celles qui ont le moins de pouvoir d’achat », ou « des millions qui y travaillent ».
L’impératif écologique, mis en avant avec insistance par l’exécutif pour refuser d’annuler ou décider d’un moratoire sur la hausse prévue de la TICPE en janvier, masque mal le bonneteau fiscal socialement injuste auquel il se livre. Le gouvernement, dans son dernier Rapport économique, social et financier, adressé notamment à la Commission européenne pour défendre son projet de Loi de finances 2019, ne cache pas que l’augmentation de la fiscalité dite « écologique » sert à boucher un trou budgétaire sans rapport avec l’écologie : « En ce qui concerne les prélèvements obligatoires, l’année 2019 est fortement affectée par le double coût ponctuel pour les finances publiques de la transformation du CICE en allègements de cotisations », lit-on à la page 70 de ce document qui précise : « Ces baisses de prélèvements seront partiellement contrebalancées par la poursuite de la montée en puissance de la fiscalité sur le tabac et de la fiscalité écologique, ainsi que par la suppression de la niche fiscale pour certains usages du gazole non-routier. »
Tant que ce mensonge initial sur la destination des taxes contestées ne sera pas levé, il y a peu de chance que la contestation des gilets jaunes disparaisse.