La dengue s’étend à d’autres terres
Sous l’effet du réchauffement, le moustique étend la zone de propagation de cette maladie. La Réunion est particulièrement vulnérable, mais la métropole n’est plus épargnée.
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Pour signaler un moustique tigre aux autorités sanitaires, il faut disposer soit d’une photo, soit d’un moustique « dans un état permettant son identification ». Pas écrabouillé, donc. Ça n’est pas une blague : « Le moustique tigre (Aedes albopictus) est une espèce invasive de moustiques particulièrement nuisante installée en France depuis 2004, prévient le site officiel signalement-moustique.fr. Il est implanté dans 42 départements. Dans certains cas, il peut être vecteur de maladies comme la dengue ou le chikungunya. Les autorités sanitaires suivent donc avec attention l’extension de son implantation. » Indications pour le reconnaître : il a l’abdomen rayé, ne fait pas de bruit et ses piqûres font mal. Diurne, il attaque de bonne heure et à la tombée de la nuit. Il goûte la densité urbaine et prolifère dans les retenues d’eau : souches, pots de fleurs, récipients, gouttières, terrasses…
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Originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, le moustique tigre est surveillé en France métropolitaine depuis 2000. « Les moustiques ne peuvent pas réguler leur température interne, donc ils sont soumis aux variations de température. Ils vont dans les endroits compatibles avec le fonctionnement de leur métabolisme. Plus il fait chaud, plus leur nombre augmente », résume Anna-Bella Failloux, entomologiste à l’Institut Pasteur, faisant ainsi le lien entre l’extension du moustique tigre et le réchauffement climatique. Les cartes de prévision sur trente ans mettent en évidence une véritable colonisation. En piquant une personne infectée, le moustique tigre, véritable réservoir à bactéries, est susceptible de propager des maladies jusqu’alors délimitées et bénignes qui peuvent aujourd’hui prendre des formes graves.
« Certaines pathologies augmentent avec le changement climatique », estime également Emmanuel Drouet. Microbiologiste à l’université de Grenoble, il place les maladies vectorielles parmi les principaux impacts sanitaires du réchauffement (1). « Il y a de la dengue au Népal, soit au-dessus de 1 500 mètres, et en Chine tempérée ! » « Jusqu’à présent, la dengue et le chikungunya étaient des maladies des pays pauvres, relate Anna-Bella Failloux. Avec le réchauffement, les moustiques migrent. Un cas de chikungunya autochtone a été observé à Rome. »
6 644 cas en 2018
Les maladies vectorielles ne sont pas encore arrivées à des stades épidémiques dans les zones tempérées. « Il faut un certain nombre de conditions : une densité de moustiques compétents, une capacité vectorielle qui dépend de plusieurs facteurs comme la hausse des températures et des précipitations », détaille Emmanuel Drouet. Mais aussi l’augmentation de la concentration urbaine et des transports. « Une personne ayant contracté la dengue à Bangkok peut arriver à Tokyo en moins de sept heures et devenir la source de contamination de moustiques locaux au Japon, qui peuvent s’avérer compétents à transmettre le virus de la dengue », écrit Anna-Bella Failloux dans le Bulletin de l’Académie nationale de médecine, fin 2016. Si le risque épidémique n’est pas proportionnel au développement du moustique, il augmente avec son extension.
« Ainsi, en 2010, deux cas autochtones de dengue et deux cas autochtones de chikungunya ont été détectés respectivement à Nice et à Fréjus. En 2013, un cas autochtone de dengue a également été identifié dans les Bouches-du-Rhône », recense signalement-moustique.fr. Ce qui signifie que les conditions de transmission du virus par le moustique peuvent désormais être réunies en métropole, sans compter « la “naïveté immunologique” de métropolitains très peu confrontés à ces virus », complète Emmanuel Drouet. Touchés à leur tour, les Français de métropole s’inquiètent, presque davantage que ceux de La Réunion, sur lesquels pèsent pourtant les principaux risques.
« Il y a toujours eu “du moustique” à La Réunion, explique Wildriss Viranaicken, ingénieur à l’université de Saint-Denis au sein de l’unité Processus infection en milieu insulaire et tropical. Mais, auparavant, il n’était pas inquiétant. » En 2005, l’île a été frappée par une épidémie de chikungunya qui a laissé des traces dans les corps et les esprits. Les courbes d’évolution de l’épidémie de dengue laissent craindre un scénario comparable : une première vague épidémique en début d’année, une accalmie pendant l’hiver et une reprise forte fin novembre, saison estivale sur l’île. Avant 2018, La Réunion déplorait un ou deux cas de dengue sporadiques. « On est passé à un cas toutes les semaines, puis deux, puis trois, jusqu’à quarante », relève Wildriss Viranaicken. « Depuis le début de l’année 2018, 6 644 cas de dengue biologiquement confirmés ou probables […] ont été signalés par les laboratoires de ville et hospitaliers de La Réunion », signale un bulletin de Santé publique France.
Quels effets des insecticides ?
Pourquoi la dengue, qui frappait à bas bruit, a-t-elle atteint un niveau épidémique ? « On ne le sait pas encore, confie Wildriss Viranaicken, qui participe à Epidengue, une étude lancée par l’université de Saint-Denis associant des ethnopharmaciens, des ethnologues et des virologues. Nous préparons un questionnaire : comment les Réunionnais perçoivent-ils la dengue ? Utilisent-ils des remèdes traditionnels pour prévenir et guérir les symptômes ? Des extraits de plantes pourraient-ils avoir des effets antiviraux ? » Une première partie de réponses est attendue fin décembre.
« Le vecteur du chikungunya, c’est le moustique Aedes aegypti, reprend l’ingénieur. Quand le “chik” est arrivé à La Réunion, ce vecteur était peu présent pour déclencher une épidémie. Mais le virus a muté et s’est adapté à un autre moustique très répandu sur l’île : Aedes albopictus. Et l’épidémie a démarré. On redoute la même opération avec la dengue », laquelle peut tuer.
« Cette infection virale transmise par le moustique provoque un syndrome de type grippal qui, dans certains cas, peut évoluer en fièvre hémorragique mortelle, notamment chez les moins de 15 ans. La dengue a progressé de manière spectaculaire ces cinquante dernières années, elle a vu son incidence multipliée par trente », annonce l’Organisation mondiale de la santé, qui estime entre 50 et 100 millions le nombre annuel de cas. « Environ la moitié de la population mondiale est exposée au risque, poursuit un communiqué daté de septembre. 500 000 personnes atteintes de dengue sévère, dont une très forte proportion d’enfants, requièrent une hospitalisation. Environ 2,5 % d’entre eux en meurent ». La Réunion déplore un décès. « Mais la personne est morte d’autres pathologies, que la dengue a aggravées », précise Wildriss Viranaicken. Une autre inquiétude émerge : la maladie compte quatre sérotypes. Avoir contracté l’un rend plus vulnérable aux trois autres. Plus les épisodes se répètent, plus les personnes infectées courent de risques.
En 2005, il n’y avait pas de lutte antivectorielle à La Réunion. Aujourd’hui, les autorités sont sur le pied de guerre. Des protocoles de signalement et d’intervention sont en place, mais ces derniers se résument à une pulvérisation d’insecticides dans les zones infestées, ce qui soulève d’autres craintes : quels effets de ces produits sur la santé humaine ? Quels impacts sur la faune, la flore, les sols et l’eau de l’île ? En outre, l’usage massif d’insecticides entraîne des résistances chez le moustique.
« Les maladies infectieuses que l’on croyait en passe d’être jugulées il y a encore vingt ans font aujourd’hui un retour en force », avertissait dès 2001 un article cosigné par Anna-Bella Failloux (2), qui, à propos des maladies vectorielles, affirme : « L’idée d’éradication n’était ici qu’un mythe dangereux. » Les auteurs de cet article rappelaient notamment l’usage du DDT, organochloré utilisé contre les arthropodes vecteurs dès la Seconde Guerre mondiale. « D’autres familles d’insecticides ont été développées par la suite. Néanmoins, les insectes vecteurs capables de résister aux insecticides sont apparus, fragilisant les stratégies de prévention », ajoutait l’épidémiologiste dans un article paru en 2016 (3). « Il n’y a plus d’abeilles, plus de fleurs chez moi, nous disent certains Réunionnais, témoigne Wildriss Viranaicken. Pour le chik, on savait quels étaient les produits utilisés. Pour la dengue, mystère… »
Autre crainte : le vaccin. Jusqu’à peu, il n’en existait pas contre la dengue. En 2016, le Dengvaxia de Sanofi Pasteur a vu son autorisation de mise sur le marché (AMM) refusée en France et aux États-Unis mais acceptée aux Philippines, au Mexique et au Brésil, où il a fait l’objet de campagnes. Sauf que des enfants vaccinés sont morts : 14 aux Philippines en décembre 2017, et 65 en juillet 2018. Sanofi-Pasteur, qui a engagé des sommes importantes sur ce présumé blockbuster, a dû le retirer et possède des stocks. Le 19 octobre 2018, la firme a annoncé avoir obtenu un avis positif de l’Agence européenne du médicament pour le Dengvaxia. Seraient concernées « les personnes de 9 à 45 ans ayant déjà été infectées par le virus et vivant dans des zones d’endémie ». Des témoignages sur les sites de médias locaux à La Réunion font part de la peur de servir de « cobayes » sur l’île. L’AMM est attendue pour la fin de l’année.
Les scientifiques se tournent plutôt aujourd’hui vers des modes de lutte contre le moustique tels que combinaisons d’agents biologiques, contrôle génétique, destruction physique des gîtes larvaires, etc. « L’épidémie est contrôlable dans les systèmes sanitaires développés. Mais, dans les pays pauvres où les systèmes de distribution d’eau sont complexes, le moustique se développe d’autant », insiste Anna-Bella Failloux. Et de rappeler des mesures élémentaires comme éviter les eaux stagnantes, se couvrir, utiliser des répulsifs et, bien entendu, se signaler.
(1) Voir encyclopedie-environnement.org et Politis n° 1522, du 10 octobre 2018.
(2) « Entomologie et veille microbiologique », Catherine Bourgoin, Anna-Bella Failloux, Claudine Pérez-Eid et al., La Veille microbiologique n° 8, 2001.
(3) « Les infections virales émergentes », Anna-Bella Failloux, Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 6 décembre 2016.