La justice climatique monte au front
Alors que la COP 24 va constater l’inertie des États, le gouvernement Macron crée un Haut Conseil pour le climat et encaisse le premier recours pour « inaction climatique ».
dans l’hebdo N° 1529 Acheter ce numéro
Créer un Haut Conseil pour le climat en plein mouvement des gilets jaunes : la coïncidence ne manque pas de piquant. Les manifestants contre la vie chère passent pour des pollueurs volontaires, tandis que le président suppresseur de l’impôt sur la fortune ajuste son costume de chevalier vert à la veille de l’ouverture de la COP 24, le 2 décembre, à Katowice (Pologne). C’est tout bénef, sauf pour « les gens », sauf pour l’écologie.
Surtout, « il existe déjà », ce conseil, a ironisé l’avocate Corinne Lepage sur Twitter. Constitué de cinquante membres, le Conseil national de la transition écologique (CNTE) se réunit une fois tous les deux mois pour « rendre des avis structurants pour la politique de transition écologique » depuis sa naissance le 16 août 2013, sous le gouvernement Hollande. Sur France Inter, l’ancien président s’est d’ailleurs montré sceptique sur le nouvel outil : « Si c’est juste une instance de plus… »
Lancé le 27 novembre, ce Haut Conseil doit compter treize experts, dont Valérie Masson-Delmotte (Giec), Pascal Canfin (WWF), Pierre Larrouturou (Agir pour le climat) et Laurence Tubiana (European Climate Foundation). Pas de doublon, assure le cabinet présidentiel : le CNTE devrait servir de « forum » tandis que le Haut Conseil serait chargé d’« orienter » et de « contrôler » les choix du gouvernement. Il ne va pas chômer : l’un des enjeux de la COP 24 est de mesurer l’étendue du non-respect des engagements pris le 12 décembre 2015 par les 196 États signataires de l’accord de Paris.
Devant des conséquences qui empirent, les marches pour le climat se multiplient et enflent, comme le 8 septembre avec 150 000 personnes dans les rues de Paris. Certains groupes se radicalisent, comme Extinction Rebellion, qui a bloqué cinq ponts à Londres le 17 novembre pour alerter sur l’effondrement écologique. D’autres décident d’en passer par la justice. En Colombie, 25 jeunes et l’association Dejusticia ont obtenu que l’État soit condamné à un plan d’actions sur la forêt et le climat (1). Aux États-Unis, la Cour suprême a déclaré recevable la plainte de l’association Our Children Trust. En Belgique, 11 personnes soutenues par près de 40 000 citoyens portent plainte contre les autorités belges sur le même thème. En Inde, c’est une fillette de 9 ans qui attaque le gouvernement. Depuis le 26 novembre, de jeunes Québécois demandent des « dommages fautifs » pour manque d’action climatique.
« Le modèle, c’est Urgenda, aux Pays-Bas. Cette association a gagné le 9 octobre son appel contre le gouvernement [qui devra réduire de 25 % ses émissions de CO2 d’ici à 2020] (2) », précise Corinne Lepage. L’avocate vient de porter pour Damien Carême, maire de Grande-Synthe (Nord), un recours gracieux contre l’État pour « inaction en matière de lutte contre le changement climatique ». « La procédure se traduit par une lettre au Premier ministre, qui a deux mois pour nous répondre, faute de quoi nous pourrons saisir le juge administratif, explique Corinne Lepage. Objectif : obtenir une décision enjoignant à l’État de respecter ses engagements. »
Il existe un précédent : le 2 octobre 2018, 77 requérants ont dénoncé en justice l’inertie du gouvernement en matière de réduction de la pollution de l’air. Mais, du côté de la justice climatique, le recours de Grande-Synthe, ville littorale « inquiétée par la submersion marine en cas d’augmentation du niveau de la mer », est une première. D’autres pourraient suivre…
(1) Lire la chronique « Le Temps du climat », de Valérie Cabanes et Marie Toussaint dans _Politis n° 1528 du 22 novembre.
(2) Lire Politis n° 1525 du 1er novembre : « Dix bonnes nouvelles en Europe ».