L’ASN va lancer une plate-forme pour les lanceurs d’alerte du nucléaire
L’Autorité de sûreté nucléaire va mettre en ligne une plate-forme sécurisée pour les lanceurs d’alerte. En 2018, une dizaine d’alertes reçues par le gendarme du nucléaire ont donné lieu à des inspections et ont permis de découvrir des anomalies.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) va installer sur son site internet une messagerie sécurisée à l’intention des lanceurs d’alerte. Elle sera mise en ligne sur la page « Contact » de l’ASN « dans les prochaines semaines. La page est prête, mais comme il s’agit d’un dispositif informatique, nous sommes en train de vérifier que nous sommes en conformité avec les règles de la Cnil [Commission nationale de l’informatique et des libertés] », a expliqué à Reporterre Christophe Quintin, inspecteur en chef de l’ASN, après avoir dévoilé le projet lors de la 30e conférence des CLI (Commissions locales d’information, mercredi 7 novembre, à Paris.
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Par ailleurs, cinq recrutements sont en cours pour traiter les éventuelles alertes reçues par ce biais. « À l’ASN, on est des ingénieurs, pas des spécialistes de la fraude. On cherche donc des gens qui ont travaillé dans le domaine du judiciaire, qui savent travailler contre les fraudeurs et contourner les tentatives de masquer la vérité. » Il s’agira d’analyser et de décortiquer les mécanismes des fraudes révélées par les lanceurs d’alerte, « On a ouvert des fiches de poste en interministériel en ciblant des profils type répression des fraudes, police et gendarmerie », poursuit M. Quintin. Le dispositif d’accueil des alertes s’inscrit dans l’air du temps, alors que l’ASN « a reçu en 2018 une dizaine d’alertes qui ont conduit à des inspections et ont permis de trouver des choses ».
Le 4e salon du livre des lanceurs et lanceuses d’alerte a lieu les 16, 17 et 18 novembre 2018, à La Maison des Métallos (94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris). Entrée libre.
Cette plate-forme doit compléter la loi Sapin II
Chaque alerte sera ensuite étudiée par une commission composée de membres de l’ASN, spécialistes de la fraude et spécialistes du métier, qui décideront des suites à lui donner – ou non. « Évidemment, on va avoir de fausses alertes, de petits rigolos qui n’ont rien à dire ou de salariés qui ont été licenciés et cherchent à se venger de leur patron sans raison véritable, prévoit M. Quintin. Mais en tout cas, aucune alerte ne sera laissée de côté, il y aura toujours une décision formelle prise en commission et qui sera tracée. » Si l’information est jugée sérieuse, l’ASN choisira la réponse qui lui semblera la plus adaptée : « Une inspection, ou un courrier ou plutôt une série de courriers à plusieurs entreprises, pour masquer l’action de l’ASN et ne pas se dénoncer auprès de l’entreprise qu’on cherche à coincer. »
L’idée de cette plate-forme a germé au sein du groupe de travail mis en place à la suite de la découverte de graves dysfonctionnements du contrôle qualité à l’usine Areva du Creusot (Saône-et-Loire). En avril 2016, 430 dossiers de fabrication irréguliers – des dossiers « barrés », dont certains remontaient aux années 1960 – ont été découverts dans les archives du site industriel, où sont forgés les gros composants en acier des réacteurs nucléaires. L’ASN avait alors demandé à l’exploitant d’éplucher l’intégralité de ses 6 000 dossiers, et d’autres anomalies ont été découvertes. « Le groupe de travail a alors émis des recommandations sur la traçabilité, les inspections… Y figurait cette idée de pouvoir recueillir des alertes », se souvient M. Quintin.
Pour l’inspecteur en chef, cette plate-forme doit compléter la loi Sapin II, censée protéger les lanceurs d’alerte à condition qu’ils suivent un processus de dénonciation très précis — et avant toute chose qu’ils préviennent leur hiérarchie. « Je ne dis pas qu’il ne faut pas respecter la loi, mais que la protection apportée par la loi Sapin II est relativement faible. Parce que, si l’on ne peut pas vous licencier au motif que vous avez lancé l’alerte, dans les faits, dès qu’il y aura une charrette, vous serez dedans pour un autre motif. Ou alors, on va vous mettre à un poste moins intéressant et vous licencier ensuite pour une autre raison… C’est ce qui arrive à l’heure actuelle aux premiers lanceurs d’alerte qui ont été placés sous la protection de cette loi », observe-t-il.
Du côté des exploitants, on commente du bout des lèvres la mise en place de ce dispositif. « L’ASN nous a informés de son projet de développement d’une plate-forme pour les lanceurs d’alerte. Elle nous a également indiqué compter sur les exploitants nucléaires, dont Orano, pour diffuser l’information dans leur organisation respective et auprès de leurs partenaires industriels quand la plate-forme sera opérationnelle », indique-t-on à Orano. EDF, lui, assure n’avoir pas été associé au développement de ce dispositif et indique ne pas souhaiter commenter les décisions d’une autorité indépendante.
« Rendre les alertes publiques pourrait inciter d’autres salariés à témoigner »
Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire, salue pour sa part une « avancée, car la loi Sapin avait des limites : il fallait faire d’abord remonter en interne ce qui n’allait pas, ce qui signifiait pour de nombreux travailleurs se faire taper sur les doigts ». Mais elle attend de voir les moyens humains qui seront mis en œuvre pour traiter les alertes et la médiatisation qui en sera faite : « Rendre les alertes publiques pourrait inciter d’autres personnes à témoigner. Si l’ASN se contente de traiter avec l’exploitant, il existe peut-être un risque qu’elle ne voie qu’un petit bout du problème et que la personne ne soit pas vraiment protégée. Enfin, le dépôt d’une alerte signifie que les choses vont déjà très mal. L’ASN devrait également créer les conditions pour que le salarié n’ait pas à en arriver là. »
Aux dires de M. Quintin, la plate-forme est surtout destinée à recueillir les alertes concernant des fraudes et pas forcément des écarts aux procédures de sûreté. Un tort, car elle pourrait permettre aux sous-traitants de dénoncer des faits qu’ils passent parfois sous silence, de peur de se faire sanctionner, selon Gilles Reynaud, salarié dans une entreprise de sous-traitance et président et fondateur de l’association Ma Zone contrôlée. Lui-même a été mis à pied pendant cinq jours en juillet dernier, officiellement pour des faits remontant à cinq années plus tôt. Mais il était en réalité sanctionné, selon lui, pour avoir témoigné sous serment devant la Commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, en mai dernier. Et pour avoir divulgué sur le site de son association des documents relatifs à un projet de fusion entre les différentes activités de son entreprise, « qui entraînerait un moins-disant sur la qualité et un véritable dumping social ».
« Mon association est née il y a dix ans à la suite d’une série d’incidents sur les sites nucléaires du Tricastin : le largage de plus de 80 kilos d’uranium dans une rivière avec un risque de contamination de plans d’eau, la contamination de 90 personnes sur un site voisin d’EDF, des assemblages de combustible restés suspendus au-dessus de la cuve à cause d’un problème de roulement à billes, etc. Le problème est que la relation entre nos entreprises et les exploitants est commerciale ; on en vient, quand on est sous-traitant et qu’on fait ou voit une bêtise, à ne rien dire et à espérer que personne d’autre n’a vu, pour ne pas perdre de temps ni être sanctionné. La plate-forme pourrait considérablement améliorer notre situation, à condition qu’elle ne se limite pas à des questions de documents falsifiés, comme au Creusot. »
Article initialement publié sur le site Reporterre.
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