L’hospitalité, un « devoir sacré »
L’anthropologue Michel Agier mène une réflexion philosophique passionnante sur l’accueil, à l’heure des migrations massives.
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Accueillir un étranger ne va pas de soi. Les réactions de refus ou de mépris sont malheureusement souvent plus immédiates et fréquentes que celles de la porte ouverte. Pourtant, certains les ouvrent, leurs portes, avec le peu qu’ils ont, tel Cédric Herrou, désormais célèbre pour son accueil inconditionnel de migrants dans sa ferme de la vallée de la Roya. Acteur exemplaire de ce que Platon avait appelé un « devoir sacré que l’on ne peut enfreindre sans s’exposer à la punition des dieux ». Si ces « Justes (1) » sont relativement nombreux, ils n’agissent pas sans risques, puisque l’État avait fait un délit de « l’aide, directe ou indirecte, au séjour irrégulier », passible de cinq ans de prison. Pourtant, les habitants de la Roya, du petit village de Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence), de certaines vallées basques, de Calais et de ses environs ou de la porte de la Chapelle, à Paris, ont franchi le pas. Et le 18 février 2017 plus de 160 000 personnes ont manifesté à Barcelone derrière leur maire, Ada Colau, en faveur de l’accueil des migrants et des réfugiés.
Anthropologue et directeur d’études à l’EHESS, Michel Agier travaille autour des questions migratoires depuis longtemps, avec des travaux sur la « condition cosmopolite » ou les camps de réfugiés. Dans cet essai incisif, il interroge en profondeur la notion d’hospitalité, dans une approche à la fois politique, historique et philosophique. L’auteur décrypte ainsi les modalités et les conséquences de « cette façon d’entrer en politique par la petite porte de chez soi qu’on ouvre ». Sans dissimuler le fait que ces actes exemplaires, que la plupart de leurs auteurs – « rarement seuls » car s’appuyant souvent sur des associations – considèrent comme un devoir, ne sont souvent qu’une « goutte d’eau dans l’océan de l’errance globale ». Non sans devoir également affronter des « courses-poursuites avec la police, des jeux de cache-cache avec des voisins moins accueillants et éventuellement “dénonciateurs” ».
Les gestes contemporains d’hospitalité volontaires, individuels ou collectifs, sont donc loin de la tradition philosophique et anthropologique louée depuis l’Antiquité en tant que devoir. Pourtant, souligne Michel Agier, ils en constituent un évident prolongement pratique, rappelant le mot de Kant, pour qui l’étranger a « le droit de ne pas être traité en ennemi ». Pour ce faire, l’anthropologue nous inviter à « penser l’étranger », puisque de toute façon « l’expérience multiple des migrants est appelée à durer et la condition à s’étendre ». Car penser cet étranger, « cet outsider » ou « cet alien », nous dit Michel Agier, s’il vient « déranger » nos imaginaires nationaux, c’est d’abord penser notre propre place dans ce monde où nous sommes sans doute « appelés à devenir étrangers plus souvent ». Et où il faudra certainement « inventer une citoyenneté nomade pour tous ».
(1) Lire le numéro que Politis avait consacré à ces « nouveaux Justes » (n° 1489, 8 février 2018).
L’Étranger qui vient. Repenser l’hospitalité Michel Agier, Seuil, 156 pages, 17 euros.