Manfred Weber, fragile « Spitzenkandidat » du PPE
Même si la droite arrive en tête des élections européennes, son chef de file n’est pas assuré de présider la Commission européenne. L’automaticité qui avait cours en 2014 est contestée.
Le Parti populaire européen (PPE), réuni en congrès à Helsinki, a choisi son « Spitzenkandidat » pour les élections européennes de mai 2019. Au terme d’un scrutin sans suspense, c’est l’Allemand Manfred Weber qui a été investi jeudi chef de file de la droite européenne pour ce scrutin. Ce qui le place en situation de prétendre succéder à Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne, si le PPE reste la première force du Parlement européen.
Ce Bavarois de 46 ans, membre de la CSU, le parti frère de la CDU, a obtenu 492 des 619 voix des délégués appelés à voter. Son adversaire, le Finlandais Alexander Stubb, 50 ans, qui faisait figure d’outsider, en a obtenu 127. Deux votes ont été invalidés.
Un candidat facho-compatible
Timmermans candidat du PSE par forfait
Le Néerlandais Frans Timmermans est resté lundi le seul candidat du parti des socialistes européens en lice pour la succession de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne après le retrait du Slovaque Maros Sefcovic. Premier vice-président de la Commission chargé de l'Amélioration de la législation, des Relations inter-institutionnelles, de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux, Frans Timmermans sera officiellement investi lors du congrès du PSE, les 7 et 8 décembre à Lisbonne.
Une règle récente et mal établie
Même si le PPE reste la première formation du Parlement européen, Manfred Weber n’est pas assuré de devenir automatiquement le président de la Commission européenne. Pour deux raisons au moins.
Le principe des Spitzenkandidaten (candidats têtes de liste), qui veut que le chef de file de la formation arrivée en tête du scrutin devienne le président de la Commission européenne, n’a été inauguré qu’en 2014, lors du précédent scrutin. Il découle d’une modification du traité de l’Union européenne, introduite par le traité de Lisbonne, qui l’avait reprise du traité mort-né établissant une Constitution pour l’Europe. Cette modification était, on s’en souvient, l’un des principaux arguments des « ouiistes » pour tenter de convaincre (en vain) les électeurs qu’avec elle « l’Europe sera plus démocratique ».
Las, si les chefs d’État et de gouvernement (qui composent le Conseil européen) ont accepté en 2014 de placer à la tête de la Commission le Spitzenkandidat du PPE, Jean-Claude Juncker, ce dernier, maintes fois ministre et Premier ministre du Luxembourg, était aussi l’un des leurs. Mais ils n’apprécient pas pour autant un processus qui leur lie les mains. Nombre d’entre eux, dont Emmanuel Macron, qui souhaite se positionner aux européennes en dehors des partis classiques, refusent aujourd’hui toute automaticité dans la désignation du Spitzenkandidat, et se réfèrent pour cela à une lecture littérale du traité de l’Union européenne. Dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne (2008), l’article 17.7 ne les oblige en rien :
En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission.
En droit, le Conseil n’a donc nulle obligation d’investir le vainqueur du scrutin mais uniquement de « tenir compte des élections » – il n’est même pas fait mention dans le texte du « résultat » de celles-ci . À l’issue du sommet européen informel du 23 février, les chefs d’État et de gouvernement ont rejeté le système des Spitzenkandidaten.
Le Parlement européen ne l’entend pas de cette oreille, qui a approuvé quelques jours avant ce sommet, par 457 voix contre 200, une résolution contre tout accord officieux concernant la succession de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission. Celle-ci menace de rejeter tout candidat à la présidence de la Commission qui ne se présentera pas aux prochaines élections en tant que tête de liste d’un parti. L’article 17.7 du traité de l’UE lui en donne potentiellement les moyens : il stipule que le candidat à la fonction de président de la Commission « est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent ». Et poursuit : « Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d’un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure. » Il n’est toutefois pas certain que tous les groupes trouvent intérêt à une telle confrontation avec le Conseil qui dépendra du rapport de force issu des élections.
Un grand marchandage
Car dans l’hypothèse où le PPE resterait bien la première force du Parlement, son candidat devra être capable de rassembler sur son nom les suffrages de plusieurs familles politiques pour être investi par le Parlement européen. Les conservateurs du PPE et les sociaux-démocrates du PSE totalisent actuellement une majorité de 55 % au Parlement européen, mais ces deux groupes qui cogèrent le Parlement et l’UE depuis des décennies devraient perdre du terrain face aux populistes de droite et aux formations de la gauche radicale, selon les sondages.
De nouvelles alliances vont devoir être constituées pour légiférer. Elles pourraient ouvrir la voie à une autre personnalité susceptible de réunir une majorité dans l’hémicycle. Les noms de la Commissaire européenne à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager, membre de l’Alliance des libéraux et démocrates européens (ALDE), et du Français Michel Barnier, vice-président du PPE et négociateur en chef de l’UE pour le Brexit, sont cités.
Une dernière donnée menace l’automaticité du Spitzenkandidat en raison cette fois du choix du PPE d’investir un Allemand : le poste de président de la Commission européenne – occupé depuis 2004 sans discontinuité par un membre du PPE – fait partie du grand mercato qui suivra les européennes organisées dans l’UE du 23 au 26 mai prochain, avec ceux de la présidence du Conseil européen, du Parlement européen, de la BCE et du haut représentant de l’UE pour la politique étrangère. Dans ce grand marchandage, la candidature d’un Allemand à la tête de la Commission suscitera inévitablement des blocages, les présidences du mécanisme européen de stabilité, de la Banque européenne d’investissement, de la Cour des comptes, du Conseil de résolution unique de l’Union bancaire étant déjà occupés par des Allemands.
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