Réforme de la directive Bolkestein : « Ils serrent les vis à tous les niveaux »
L’Union européenne pourrait se doter d’un droit de veto sur les réglementations locales, pour imposer la libéralisation du marché des services. Un texte sur mesure pour les lobbies, estime Olivier Hoedeman, de Corporate Europe observatory.
Avec son projet de réforme de la directive « Bolkestein », Bruxelles entend se doter d’outils contraignants pour accélérer la libéralisation du marché des services, à l’échelle continentale (notification au préalable des projets de réforme et droit de veto offert à la Commission). Un perte de pouvoir importante pour les communes, prévient Olivier Hoedeman, chercheur pour l’ONG Corporate Europe Observatory spécialisée dans le suivi des lobbies.
Quelles seraient les conséquences du projet de réforme de la directive Bolkestein, telle qu’elle est portée par les dirigeants européens ?
Olivier Hoedeman : Dans le meilleur des cas, cela générerait une bureaucratie importante, des délais supplémentaires et beaucoup d’incertitude dans la prise de décision politique. Des dizaines de milliers de municipalités devront demander la permission de légiférer à la Commission, ce qui est incroyable en matière de processus de décision.
Ce projet de réforme est apparu parce que la Commission – ainsi que les groupes de lobbies industriels – n’était pas satisfaite de la mise en place de la directive Bolkestein. Elle cherchait un moyen de renforcer cette politique, fondée sur le principe qu’il ne peut y avoir aucune distinction entre un fournisseur de service local et non local. Tous les obstacles devraient donc être éliminés afin de permettre aux prestataires de services internationaux de fonctionner partout dans le monde.Aujourd’hui, déjà, Uber ou Airbnb utilisent la directive Bolkestein pour arguer que des mesures locales sont « disproportionnées », « injustes » ou « discriminatoires ». Et aux yeux de la Commission, il demeure encore trop d’espaces où les affaires publiques échappent à la directive Bolkestein. Pour la mettre en œuvre plus strictement, le projet de réforme vise donc à créer de nouveaux obstacles empêchant de réguler le secteur des services.
En pratique, au regard de l’état d’esprit très libéral de la Commission européenne et de son département en charge du marché intérieur, toute tentative de régulation des gouvernements ou des municipalités est interprétée comme un obstacle potentiel aux opérations des multinationales. Nous savons aussi que la commission européenne est fortement pénétrée par les lobbies et tout particulièrement le département du marché intérieur.
Pourquoi cette réforme concerne tout particulièrement les communes ?
Elle aura un impact sur l’échelon régional et pourra également freiner le processus législatif national. Ils serrent les vis à tous les niveaux. Mais en effet, dans la pratique, cette réforme semble destinée à empêcher des régulations qui pourraient être introduites dans quelques villes progressistes en Europe, qui vont à l’encontre de la logique libérale qui donne le plus d’espace possible aux multinationales. Beaucoup d’initiatives pourraient se voir opposer des avis négatifs de la part de la Commission et cela pourrait rendre les communes plus frileuses à introduire des mesures qui risquent d’être rejetées. C’est aussi ce que nous appelons « l’effet de refroidissement ».
Le meilleur exemple, c’est le débat sur la régulation de Airbnb, dont l’expansion pose des problèmes dans beaucoup de villes. Des logements sont sortis du marché normal de la location pour être loués aux touristes, ce qui accentue l’inflation des loyers. Certaines villes réglementent donc fortement en réduisant le nombre de jours de location possible sur la plateforme. Et nous savons que Airbnb est allé voir la Commission européenne en insistant sur le fait qu’il s’agissait d’une violation du marché unique et que la Commission devrait engager des démarches contre ces villes.
En cas d’adoption de la réforme, toute mesure qu’une ville voudrait prendre pour stopper l’expansion d’Airbnb devra d’abord être proposée à la Commission. Il est également prévu que les « intervenants extérieurs » – c’est-à-dire les lobbyistes, dans le jargon de l’UE – aient le droit de faire des commentaires. Les multinationales bénéficieront d’un contrôle bien plus fort qu’aujourd’hui.
Ces négociations ont-elles une chance d’aboutir dans les prochaines semaines ?
Le gouvernement autrichien, qui préside actuellement l’Union européenne, veut finir la négociation avant la fin décembre. Le sujet est actuellement au trilogue [qui réunit la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen], la toute dernière étape de négociation. Ils sont donc très près du but.
L’Autriche doit encore convaincre certains gouvernements, qui restent pour le moment opposés à ce projet. Les négociations butent pour l’heure sur le contour des pouvoirs nouveaux dont la Commission sera dotée : émettre un avis contraignant ou se limiter à une recommandation non contraignante.
Il existe un risque important qu’un accord soit trouvé, car les gouvernements sceptiques sont peu nombreux et le gouvernement autrichien est vraiment désireux d’obtenir cette réforme. Nous avons donc besoin de créer un débat public à ce sujet dans les prochaines semaines.
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