Sentinelle du climat
L’huître est sensible à plusieurs facteurs liés au réchauffement. Certaines espèces vont certainement disparaître.
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L’huître peuple les eaux bordant la France depuis des siècles : l’huître plate traversait la Gaule pour remplir les assiettes romaines dans l’Antiquité. Elle a donc vu et participé à l’évolution du littoral, que ce soit sur la côte Atlantique, en Normandie ou en Méditerranée. Mais, depuis le XXe siècle, les perturbations se succèdent.
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Dans les années 1970, l’huître portugaise – importée pour combler les manques en huîtres plates – succombe à un virus dont la cause reste inconnue. L’intervention humaine permet de continuer la culture ostréicole grâce à la creuse du Pacifique. « Les chercheurs de l’époque décident de l’introduire dans le bassin d’Arcachon et de Marennes-Oléron, car ils étaient certains, selon ses besoins thermiques, qu’elle ne dépasserait jamais le nord de la Loire, raconte Stéphane Pouvreau, biologiste à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Mais nous avons récemment montré que le réchauffement des eaux au fil des années a permis à l’huître de s’implanter progressivement plus au nord, jusque sur les côtes norvégiennes, où désormais elle se reproduit naturellement ! » Un effet plutôt favorable du réchauffement climatique pour éviter la disparition de cette espèce qui se reproduit l’été. Mais, depuis une dizaine d’années, le taux de mortalité des naissains (larves) d’huîtres s’est accru : supérieur en moyenne à 50 %, avec un maximum atteint en 2011 (75 %).
Si sa capacité de résistance aux changements climatiques se révèle assez importante, l’huître a quand même des besoins bien définis pour survivre : une eau inférieure à 30 °C, un pH de 8, une salinité normale, du phytoplancton pour se nourrir et une biodiversité marine riche servant de barrière naturelle face au manque d’oxygène et aux maladies. « En tant qu’espèce fixée, l’huître est un précieux indicateur des changements climatiques, au point d’être une victime localement, notamment dans l’étang de Thau, où la température a atteint 29,5 °C cet été et approche de la limite physiologique de l’espèce. Nous n’aurions pas imaginé cela il y a dix ans », concède le scientifique de l’Ifremer.
Le dioxyde de carbone (CO2) absorbé réchauffe les eaux et les rend plus acides. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) prévoit une augmentation de l’acidité des océans, le pH pouvant descendre à 7,8 à l’horizon 2100 (actuellement à 8,1). Or, plus l’eau est acide, plus les mollusques ont de difficultés à fabriquer leur coquille, notamment au moment de leur phase larvaire, ce qui les rend plus vulnérables. « Nous n’avons pas encore constaté de problèmes de calcification dans les milieux côtiers pour cette espèce et, le cycle de vie de l’huître étant court, une adaptation génétique pourrait se produire d’ici à cent ans, relativise Stéphane Pouvreau. Mais c’est là que les biologistes sont désarmés, car ils ont besoin d’années pour démontrer les capacités d’adaptation génétique d’une espèce donnée. »
Si les scientifiques restent prudents, les effets du réchauffement climatique sont de plus en plus visibles et mettent en péril les pièces du « kit de survie de l’huître », notamment le phytoplancton. Les espèces de phytoplancton les plus tempérées remontent de plus en plus vers le nord et certaines disparaîtront totalement selon les latitudes : l’huître risque de ne plus trouver la bonne quantité et qualité de nourriture au moment opportun. Des réactions en chaîne potentiellement dévastatrices pour l’huître mais aussi pour tout l’écosystème marin, car l’huître est une « espèce ingénieure », permettant la construction de récifs, d’habitats naturels pour d’autres espèces, et de faire revivre un milieu dégradé. Une espèce vitale.