Taxe carbone : double dividende et triple peine
Les écotaxes actuelles sont injustes et leur bénéfice environnemental très faible.
dans l’hebdo N° 1529 Acheter ce numéro
I l n’y a pas le choix », a déclaré le Premier ministre le 3 novembre. Un discours, emprunté à une partie des économistes, qui repose sur le rôle central des « incitations monétaires » pour modifier les comportements : pour freiner la demande d’un produit, le plus efficace est d’en augmenter le prix. Mais ce raisonnement, qui fonctionne sur certains marchés, est en échec lorsque les choix de consommation sont largement contraints par des structures sociales ayant une forte inertie.
Ainsi, la demande de carburants fossiles pour les véhicules fléchit peu quand le prix augmente, parce qu’elle est largement déterminée par des contraintes structurelles telles que l’aménagement de l’espace entre les implantations des logements et celles des lieux de travail et d’études, auxquelles s’ajoute l’insuffisance de transports publics pratiques. Autant de rigidités, consolidées depuis des décennies, qui pèsent lourdement sur les choix individuels.
Les avocats des écotaxes expliquent qu’on peut en attendre un « double dividende ». D’un côté, un bénéfice environnemental : la réduction des pollutions. De l’autre, des recettes publiques que l’on peut consacrer à des dépenses d’intérêt général. Cette rhétorique ignore la question de la justice sociale et fiscale. Or, les écotaxes actuelles sont injustes et leur bénéfice environnemental très faible.
La politique gouvernementale des prix des carburants est très majoritairement contestée, y compris par une partie des écologistes, parce qu’elle conduit à une triple peine pour les personnes à faibles et moyens revenus. D’abord, ce sont elles qui ont subi le plus de ponctions depuis que le président des riches a organisé une gigantesque redistribution à l’envers. Le « coup des carburants » est bien plus rude pour elles, même si on sait que les taxes n’expliquent qu’une partie de la hausse tendancielle des prix.
Ensuite, c’est le pouvoir d’achat, déjà maigre, de ces mêmes catégories qui est le plus amputé par les hausses de la fiscalité carbone, laquelle pèse (en proportion des revenus) cinq fois plus sur le budget des 10 % les plus modestes que sur celui des 10 % les plus aisés ! On est dans un cas où une politique que l’on prétend écologique (on sait tous que ce n’est pas sa raison d’être, il s’agit d’abord de compenser les cadeaux fiscaux aux riches et aux entreprises) renforce encore des inégalités déjà indécentes !
Enfin, cerise sur le gâteau, les personnes à bas et moyens revenus ne verront pas non plus « ruisseler » le deuxième dividende de ces taxes (les recettes publiques), vu que seule une infime partie de ces recettes est orientée vers des « compensations » visant la justice sociale.
La situation est-elle alors sans issue ? Faut-il renoncer à toute écotaxe ? En aucun cas. Des propositions réalistes de transition juste vers une société sobre en émissions existent, distinguant des mesures immédiates et une stratégie à long terme : voir, entre autres, les communiqués d’Attac, d’EELV, de La France insoumise, des communistes, etc. Il est malheureusement peu probable que le gouvernement des riches s’en empare, bien que de puissantes mobilisations citoyennes puissent l’y contraindre.
Jean Gadrey Professeur émérite à l’université de Lille-I
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