Un monde de justice climatique

La Cour suprême de Colombie a créé une jurisprudence innovante en reconnaissant deux nouveaux sujets de droit : les générations futures et les écosystèmes de l’Amazonie.

Valérie Cabanes  et  Marie Toussaint  • 21 novembre 2018 abonnés
Un monde de justice climatique
© photo : QUENTIN MARTINEZ/Biosphoto/AFP

Une chronique peut être acide, mais elle peut aussi donner à voir un autre monde. Et face aux changements climatiques graves et irréversibles en cours, il est parfois possible de découvrir un autre futur possible. Le monde auquel nous aspirons, celui de la justice climatique, de forêts vivantes permettant l’épanouissement de toutes formes de vie dans l’harmonie et la diversité, de rivières vives et d’espèces animales protégées, d’une puissance publique qui ait pour obligation de protéger ses citoyens et le vivant, ce monde-là existe.

En mai 2018, la Cour suprême de Colombie a reconnu l’obligation de l’État de protéger les citoyens – et le vivant – de la menace climatique. Comment ? En reconnaissant, d’une part, le droit à la vie et à un environnement sain à 25 jeunes plaignants et, d’autre part, une personnalité juridique à l’Amazonie colombienne. La cour a ordonné aux gouvernements national et locaux d’établir des plans de lutte contre la déforestation et de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les cinq mois. En Colombie, la déforestation s’est accélérée de 44 % entre 2015 et 2016. Les juges ont reconnu que le pays courait un danger imminent et sérieux, car la déforestation entraînait la hausse des émissions de carbone, contribuant à l’effet de serre, transformant les écosystèmes et altérant la ressource en eau.

Une réaction nécessaire, alors que les émissions des États les plus aisés sont reparties à la hausse. Un délai responsable, alors que les changements climatiques s’accélèrent et avec eux le dépassement de l’ensemble des limites planétaires. Ainsi que l’a rappelé António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, il reste deux ans pour agir et « éviter un changement climatique incontrôlable ».

La Cour suprême ne s’est pas contentée de répondre à la tutela déposée, elle a aussi créé une jurisprudence innovante en reconnaissant deux nouveaux sujets de droit : les générations futures et les écosystèmes. En premier lieu, les juges ont souligné l’inégalité entre les générations induite par le changement climatique, une inégalité et une discrimination déjà reconnues en première instance de l’affaire « Juliana vs United States » : « Les actions et les inactions des accusés – qu’ils violent ou non une loi en particulier – ont porté atteinte aux droits constitutionnels fondamentaux des requérants à la vie et à la liberté. »

De cette reconnaissance découle une décision concrète de la Cour suprême colombienne : le lancement d’un Pacte intergénérationnel pour la vie dans l’Amazonie colombienne, qui devrait permettre d’atteindre l’objectif d’égalité et de préservation des droits des jeunes générations et des générations futures. Ce pacte réunira les jeunes plaignants, les communautés impactées de l’Amazonie et des équipes de scientifiques afin d’atteindre une déforestation « zéro » et de réduire les émissions de carbone. La reconnaissance des droits des générations futures se traduit ainsi par la réinvention de la démocratie et de la gouvernance de ces communs naturels mondiaux que ni l’humanité en général ni les démocraties capitalistes dites modernes en particulier ne sont parvenues à protéger.

En second lieu, la Cour suprême colombienne a reconnu l’Amazonie colombienne sujet de droit : elle devient titulaire des droits « à la protection, à la préservation, au maintien et à la restauration ». En 2017, la Cour constitutionnelle avait déjà reconnu des droits au fleuve Atrato, endommagé par l’extraction illégale d’or, qui détruisait forêts et écosystèmes fluviaux, polluait le fleuve et rendait malades les communautés vivant sur ses rives.

Les juges n’ont fait aucune distinction entre inégalités sociales et environnementales car, tel que la cour l’a statué, « la solidarité et l’environnement sont reliés, jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un ».

À travers le monde, des décisions politiques ou judiciaires émergent, capables de créer des ponts entre différentes traditions juridiques : droit positif occidental et droit coutumier des peuples autochtones, liant les principes de dignité et de responsabilité humaines aux droits de la nature.

Ce voyage dans une utopie réelle sera, nous l’espérons, une grande source d’inspiration. La solution ne peut venir de technologies nouvelles ou de l’imposition de règles et de normes qui nieraient la démocratie et l’égalité entre les humains, les générations à venir et le vivant. L’élargissement des droits des humains et des non-humains et une protection accrue des communs naturels permettront de renouer avec la solidarité réelle et d’améliorer les conditions de vie de chacun.

Par Valérie Cabanes, juriste, porte-parole de End Ecocide on Earth, et Marie Toussaint, juriste, présidente de Notre affaire à tous.

Publié dans
Le temps du climat
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