Dix ans de politiques répressives contre la drogue en France et ailleurs : quel bilan ?
Tribune. Les associations Aides, Faaat, Fédération Addictions, Médecins du monde, NORML appellent le gouvernement français à renoncer à l’objectif idéologique et inatteignable d’éliminer les drogues pour se tourner vers les réalités de terrain.
Cette semaine à Vienne, l’Organisation des Nations unies (ONU) entame un débat plus qu’urgent sur la politique mondiale des drogues pour les dix années à venir. Les précédents plans onusiens s’étaient donné pour objectif d’atteindre « un monde sans drogue » en éliminant l’offre et l’usage de drogues d’ici 2019. Mais loin de diminuer, production, vente et consommation de drogues illicites ont au contraire fortement augmenté au cours de la dernière décennie.
Un bilan accablant qui démontre l’inconsistance des objectifs de 2009
Plus qu’inefficaces, ces politiques ont même produit les effets inverses de ceux escomptés, avec d’importants dommages pour la société. C’est le bilan tiré d’une récente évaluation de la société civile sur l’impact des politiques mondiales en matière de drogues depuis 2009 [1]. Le rapport souligne une aggravation des épidémies de VIH et d’hépatite C dans les contextes les plus répressifs tels que la Russie, ainsi que le déni du droit à l’accès aux médicaments antidouleurs pour 75 % de la population mondiale. En Amérique du Nord, la prohibition des drogues contribue largement au retard de la mise en œuvre des actions de réduction des risques nécessaires, ce qui rend très difficile la lutte contre la crise actuelle des opioïdes.
L’application démesurée et arbitraire des politiques répressives a en outre provoqué de nombreuses violations des droits humains : surpopulation carcérale (une personne sur cinq étant incarcérée pour infraction à la législation sur les stupéfiants dans le monde), tortures et exécutions extra-judiciaires (27 000 recensées au Philippines depuis juin 2016), mépris de la vie privée ou, a contrario, refus de soins, etc. La politique prohibitionniste a de surcroit favorisé la criminalité liée aux trafics, qui a atteint des degrés de violence inégalés dans certains pays comme le Mexique, où 150 000 personnes sont décédées et 32 000 ont été portées disparues depuis le lancement de la guerre contre la drogue de l’ex-président Calderon en 2006.
Avec un tel bilan, il n’est pas surprenant que les États soient réticents à effectuer une évaluation officielle et indépendante de l’impact des politiques des drogues, en particulier au regard des objectifs d’éradication et des implications vis-à-vis des autres objectifs onusiens de maintien de la paix, de développement et de promotion des droits humains et de la santé.
2019 : une année charnière pour changer de paradigme
Pourtant, en 2016, une session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU (UNGASS), dédiée exclusivement aux drogues, avait amorcé une réorientation de l’approche onusienne sur la drogue vers la protection de la santé et le développement durable. Le rapport de la société civile appelle la communauté internationale à harmoniser la stratégie sur les stupéfiants avec les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 et les autres engagements internationaux de protection des droits humains.
Mais à l’heure du bilan, certains États menacent de revenir sur les acquis de 2016 et de perpétuer la politique prohibitionniste, malgré ses effets dévastateurs sur la vie et la santé de millions de personnes à travers le monde.
À ce moment critique, la France a l’opportunité de jouer un rôle majeur pour défendre et promouvoir une approche pragmatique et scientifique fondée sur les droits humains et la santé publique.
Une politique efficace doit se baser sur des faits démontrés
Depuis les années 1980, la politique de réduction des risques (qui consiste notamment à fournir aux personnes faisant usage de drogues du matériel stérile et des conseils de prévention adaptés aux pratiques de consommation) s’est révélée efficace, en France et à l’international, pour lutter contre les maladies infectieuses. L’accès aux traitements de substitution a permis de stabiliser voire diminuer la consommation, et d’améliorer la santé et la qualité de vie des personnes.
Cette approche doit être généralisée pour prévenir l’ensemble des risques que peuvent représenter les consommations, au lieu de chercher en vain à les éliminer. Malgré l’impact positif de ces programmes, l’approche punitive contre les personnes usagères de drogues continue de les exclure des services sociaux et de santé, de les stigmatiser et de les marginaliser. Plusieurs pays ont pourtant expérimenté une décriminalisation totale ou partielle de la consommation personnelle de produits stupéfiants, avec des résultats extrêmement positifs en matière de santé, d’accès aux droits et d’inclusion sociale.
Alors que les Nations unies s’apprêtent à adopter leur stratégie mondiale sur la drogue pour les dix prochaines années, ces expériences positives doivent être au cœur des débats afin que le cadre international de contrôle des drogues puisse contribuer au respect des droits humains des populations à travers le monde, plutôt qu’à les enfreindre. Comme le président mexicain l’avait déclaré lors de l’UNGASS de 2016, « des millions de vies en dépendent ».
Dans ce contexte politique international, il est urgent que le gouvernement français renonce à l’objectif idéologique et inatteignable d’éliminer les drogues pour se tourner vers les réalités de terrain et les principes de bonne gouvernance, de protection de la santé, des droits humains et d’inclusion sociale des groupes les plus marginalisés.
[1] Bilan : 10 ans de politiques des drogues, 2018.
Signataires : Aides, Faaat, Fédération Addictions, Médecins du monde, NORML
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