La Macronie prise au piège de sa brutalité

Le Président récolte les fruits de deux années de « thérapie de choc » sur les dossiers sociaux. Un échec qui compromet un agenda encore chargé.

Erwan Manac'h  • 5 décembre 2018 abonné·es
La Macronie prise au piège de sa brutalité
© photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron faisait feu de tout bois. Réécriture du code du travail, choc fiscal, détricotage de la politique de logement social, privatisation de la SNCF et d’Aéroports de Paris… Une « thérapie de choc » qui lui a permis de faire passer des réformes majeures en assommant les résistances. Mais dont il paye aujourd’hui le prix par une coagulation des colères, qui surgissent avec d’autant plus de violence qu’elles étaient tues jusqu’alors. Au point que la Macronie pourrait désormais être forcée de changer de politique, sur la forme comme sur le fond.

La « modération salariale » est un leitmotiv du Medef, de la Commission européenne, comme d’Emmanuel Macron. Ses réformes ont donc amenuisé les défenses syndicales, soutenu fiscalement l’embauche à bas salaires et écarté tout coup de pouce du Smic. Les résultats sont probants, puisque la France enregistre la plus faible évolution des salaires depuis dix ans, désormais en dessous de l’inflation, alors que l’activité économique redémarre. Les salaires ont augmenté de 0,1 % en 2017 et reculeront de 0,4 % cette année, selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail. Un mouvement observable à l’échelle planétaire, où la croissance salariale a ralenti de 2,4 % en 2016 à 1,8 % en 2017. L’OIT observe aussi et surtout un écart moyen de 20 % entre le salaire des hommes et celui les femmes. z E. M.

Malgré un léger coup d’arrêt ressenti depuis l’affaire Benalla, qui va de pair avec une reprise en main par Matignon des dossiers sociaux, le rythme des réformes devait officiellement rester soutenu durant les prochains mois. Avec des lois du même acabit, voire plus explosives, que celles qui ont marqué le début du quinquennat. Ciblant des petites entailles sur les « grandes masses budgétaires », qui se traduisent par des pertes bien réelles pour les plus précaires.

Les négociations sont ainsi en cours jusqu’au 15 janvier pour une réforme de l’assurance chômage, censée dégager d’énormes économies budgétaires (entre 3 et 3,9 milliards d’euros sur trois ans, dont 90 millions annuels sur le régime des intermittents du spectacle). Parmi les pistes les plus probables, figure l’idée d’une baisse des indemnisations pour les précaires, par le biais d’un nouveau mode de calcul des allocations. Environ 20 % des personnes en chômage partiel pourraient perdre une surcote appliquée aujourd’hui à leurs allocations, qui représente 8 à 10 % de son montant.

Une refonte en profondeur des règles managériales dans la fonction publique est également attendue pour le début de l’année prochaine. Cette « loi travail » des fonctionnaires doit accélérer le recrutement de contractuels et défaire les droits collectifs attachés au statut de fonctionnaire, notamment pour atteindre les 120 000 suppressions de postes d’ici à la fin du quinquennat. L’agenda social prévoit également une réforme des indemnités journalières pour les arrêts de travail, elle aussi animée par une logique comptable qui fera des perdants.

Viendra ensuite la réforme des retraites, au plus tôt pour l’été 2019. De l’aveu même du gouvernement, elle ne pourra pas être conduite sans faire de perdants, même s’il ne s’agit pas, selon lui, de dégager des économies. Un système entièrement neuf doit être écrit à partir d’une feuille blanche pour refondre le système actuel dans un modèle unique où les pensions seront calculées en « points » cotisés. Chaque mécanisme de solidarité existant entre les salariés devra donc être reconstruit, ainsi qu’un nouveau modèle pour le calcul des pensions de réversion. Un sujet touchant à l’intime et au porte-monnaie de millions de Français, comme beaucoup de questions soulevées par cette réforme. Le basculement en points permettra également aux gouvernements futurs de faire varier le montant des allocations des néo­retraités en fonction de la conjoncture, comme il gèle le Smic ou le salaire des fonctionnaires, par exemple.

Difficile d’imaginer Emmanuel Macron continuant sur une ligne aussi radicale. D’autant plus que le sentiment d’exaspération se heurtera, fin janvier, à la première fiche de paye mentionnant l’impôt sur le revenu prélevé à la source. Un choc psychologique qui, même s’il ne change pas le montant de l’impôt annuel, pourrait être mal vécu par les Français les plus éloignés de la cuisine fiscale.

La Macronie est-elle capable de fléchir pour préférer à l’impudence une politique du compromis, prenant en compte toutes les composantes de la vie démocratique ? Jusqu’à présent, rien n’a montré une telle faculté du Président.

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