Le 1er décembre, les gilets jaunes ont pris Paris
De la gare Saint-Lazare aux Champs-Élysées en passant par Bastille et l’hôtel de ville, les manifestants ont parcouru les rues de la capitale en exprimant leur colère et leur détermination. Récit.
Il est 13h40, samedi 1er décembre, sur le parvis de la gare Saint Lazare à Paris. Environ 300 personnes sont présentes. Ce rendez-vous a été donné par le collectif Justice pour Adama, les étudiants de l’université Paris VIII et les cheminots de SUD-Rail. L’ambiance est pesante, des gilets jaunes s’impatientent : « Qu’est ce qu’on fout là ? » ou encore « Bougez-vous ! ».
C’est déjà le deuxième cortège de gilets jaunes qui passe non loin du parvis de la gare. Quatre membres de la police montée les suivent pour les stopper. Le cortège harangue les manifestants statiques sur le parvis et les invite à le suivre.
13h50 : un homme crie plus fort que les autres et parvient à faire vider le parvis pour rejoindre le cortège qui déambule sur le boulevard Haussmann. C’est le début d’une longue manifestation sauvage dans les rues de Paris. À chaque carrefour, un nouveau cortège de gilets jaunes vient renforcer les rangs du cortège principal. À Châtelet, ce ne sont plus quelques centaines de manifestants, mais près de 2 000 personnes, pour la plupart en gilets jaunes, qui manifestent. Le slogan le plus repris et le plus récurrent est aussi le plus simple : « Macron démission ! ».
Le cortège continue sa route, sans objectif précis. « Il faut choisir un endroit ! Faire quelque chose de symbolique, je propose l’Assemblée », lance Richard, 56 ans, de Chamonix. Des manifestant se plaignent du manque de cohérence du parcours de la manifestation. Il y a des gens qui viennent de toute la France et très peu de Parisiens. Les manifestants sont perdus dans les rues de la capitale mais finissent par trouver la direction de l’hôtel de ville.
Certains gilets jaunes font remarquer avec amusement qu’ils n’y a aucun policier sur le parcours. En effet, ils ont à faire sur les Champs-Élysées. Ce n’est qu’après leur arrivée sur la place de l’Hôtel-de-Ville que les CRS se montrent et commencent à empêcher les 4 000 manifestants de se rassembler. C’est la panique, les manifestants se dispersent et une fumée blanche épaisse envahit la place : les CRS ont lancé du gaz lacrymogène sur les manifestants ayant tenté de se rassembler. La manifestation tente alors de prendre la rue de Rivoli pour continuer son chemin, mais une deuxième salve de grenades lacrymogènes l’envoie dans la rue du Temple.
« En Mai 68, on n’a pas obtenu 35 % en plus sur le Smic uniquement en marchant dans la rue ! »
Les manifestants s’infiltrent dans les ruelles du Marais, l’accueil des Parisiens y est moins chaleureux que boulevard Haussmann. Des désaccords entre gilets jaunes commencent à se montrer, certains voulant profiter des ruelles pour monter des barricades tandis que d’autres veulent manifester de la manière la plus « propre » possible et démontent les barricades.
« En Mai 68, on n’a pas obtenu 35 % en plus sur le Smic uniquement en marchant dans la rue ! » Sébastien vient de Normandie, il est conducteur de bus et veut convaincre les gens autour de lui que la radicalité est nécessaire à la réussite du mouvement. La manifestation continue, sans barricades mais aussi sans heurts, sans casse et de nouveau sans policiers.
Le cortège rejoint celui de la CGT sur le boulevard Beaumarchais et les deux manifestations déambulent ensemble vers la place de la Bastille, point d’arrivée du cortège de la CGT. Le cortège syndical est plus long, les manifestants marchent plus lentement et sont plus dispersés. Les gilets jaunes apportent de la vigueur à la procession syndicale et des slogans sont repris unanimement par les jaunes et les rouges : « Partage du temps de travail, partage des richesses ou alors ça va péter ! ».
Sur la place de la Bastille, l’euphorie d’avoir trouvé de nouveaux manifestants retombe. La volonté apartisane des gilets jaunes est un des fondements de leur mouvement et ils décident de continuer par la rue Saint-Antoine, tandis que la CGT prend la rue de Lyon. Sabine, militante syndicale, se réjouit d’avoir marché quelques dizaines de mètres avec les gilets jaunes et aimerait plus d’unité. Elle est également fière de son syndicat qui décide de braver l’interdit et de continuer sa procession au delà du trajet déclaré en préfecture : « Ça nous change de la honte de la manifestation autour du bassin du canal [le 23 juin 2016, la manifestation syndicale contre la loi travail n’avait été autorisée qu’à faire des tours autour du bassin de l’Arsenal, à côté de la place de la Bastille, NDLR] ! »
La manifestation quitte rapidement la place de la Bastille, poussée par les CRS qui vident la place. Le cortège s’étire, beaucoup de manifestants semblent perdus dans les rues parisiennes mais une majorité de manifestants rejoignent les quais. Les conducteurs sortent leur gilet jaune et klaxonnent, sans animosité. Le spectacle est déroutant, les voitures se frayent un chemin lentement entre les gilets jaunes qui marchent tranquillement sur la route, beaucoup de touristes sont stupéfaits et filment.
Une fois le cortège arrivé au jardin des Tuileries, les CRS envoient des grenades lacrymogènes sans sommation afin de décourager quiconque voudrait se rendre sur la place de la Concorde. Les manifestants empêchent la sécurité de fermer les grilles du jardin et le traversent afin de rejoindre la rue de Rivoli. Il est 17h, c’est la fin de la procession, les CRS bloquent la plupart des sorties et des manifestants ont monté des barricades. Ce n’est qu’ici qu’un petit groupe de personnes sans gilets jaunes cassent des vitrines afin de se servir à l’intérieur des magasins : « Joyeux Noël, les jeunes ! » lance un retraité amusé par le spectacle. La plupart des manifestants se dispersent et c’est un autre jeu qui débute, beaucoup de manifestants sont encore présents mais peu portent de gilet jaune, des barricades sont montées et enflammées. Les pompiers sont empêchés de pénétrer jusqu’à la place Vendôme afin d’éteindre les incendies.
La nuit tombe, la fumée est épaisse et les feux s’embrasent les uns à la suite de autres. Il est 18h et en passant d’une rue à une autre, on trouve un Paris qui manifeste avec énergie ou un Paris qui s’insurge avec colère et détermination.
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