Le macronisme enraciné à droite
Dans le long silence de l’exécutif, les députés LREM, y compris ceux issus de la gauche, se sont sentis bien seuls face à la crise des gilets jaunes.
dans l’hebdo N° 1532-1534 Acheter ce numéro
Ne les appelez plus « godillots ». Les gilets jaunes ont paradoxalement permis le réveil d’une partie de la majorité à l’Assemblée nationale. « Beaucoup de mes collègues ont envie de renforcer leur rôle de député », explique Lionel Causse, député des Landes et tenant d’une ligne « sociale » chez LREM. Et comment pourrait-il en être autrement ? De l’ombre de la pléthorique majorité à l’Assemblée, réduite au rôle de chambre d’enregistrement des projets du gouvernement durant quinze mois, les députés macronistes ont été propulsés en première ligne du conflit ouvert par les gilets jaunes.
Face au silence persistant de l’exécutif pendant plus d’un mois, ils ont pris les balles. Au sens figuré, et parfois presque au sens propre. Permanences taguées, portails de domicile couverts de gilets jaunes, élus chahutés sur les barrages, menaces… « On a vécu des choses qui ne sont pas marrantes », admet Lionel Causse. Alors, dès les premières semaines, certains ont pris la parole. « On a très vite mis la pression sur l’Élysée et Matignon », raconte le député. ISF, justice fiscale, représentativité démocratique, nouveaux pactes de mobilité… Émilie Cariou, députée de la Meuse, tweetait le 2 décembre : « Les députés LREM ont fait remonter les alertes et propositions, il faut que le Premier ministre les écoute. » Elle n’a pas été la seule.
Ont-ils été entendus ? Dans sa très tardive allocution, plus de trois semaines après le début du mouvement, Emmanuel Macron a bien lâché quelques annonces. Poudre de perlimpinpin pour les gilets jaunes, elles ne satisfont pas non plus ces élus à la dominante plus sociale. S’ils se félicitent de l’organisation et de la mise en place de rencontres sur les territoires, de la suppression de la hausse de la taxe sur les carburants (TICPE) ou du coup de pouce aux smicards, certains regrettent ouvertement que l’ISF n’ait pas été rétabli. « Nous n’aurions peut-être pas dû supprimer l’ISF, car cette mesure hautement symbolique nourrit ce sentiment d’injustice fiscale », estimait dans Le Monde (1) Patrick Mignola, chef de file des députés MoDem.
« Nous allons évaluer l’impact et le coût réel de cette suppression », promet Lionel Causse. Fidèles à eux-mêmes, les députés marcheurs ont l’art du compromis, même avec d’indéfendables annonces présidentielles. « Le débat sur l’immigration ne doit pas avoir lieu dans l’immédiat, prévient le député des Landes. Il faut instaurer un pacte social et optimiser maintenant l’efficacité de nos services publics. » La défiscalisation des heures supplémentaires ? « Je n’ai jamais été un grand fan. »
Dans les faits, l’homme du « en même temps » a livré, le 10 décembre, un discours ni de gauche… ni de gauche. Un camouflet pour les députés qui proviennent, pour un tiers, des rangs du PS, du PRG ou des écologistes ! À multiplier les propositions de droite, le Président rend éclatant le fossé entre sa base et sa politique. En 2017, il avait fédéré autour d’une ligne « sociale-libérale » . N’était-il pas le ministre du socialiste Hollande ?
Mais rien ne se passe jamais comme dans les programmes. Hausse des taxes sous l’hypocrite prétexte de l’écologie, puis rétropédalage cacophonique avec le Premier ministre, virage sarkozyste, glissement populiste sur la question migratoire, multiplication des propositions de députés déboussolés… Le mouvement des gilets jaunes peut bien retomber, il a jeté un coup de projecteur très cru sur le grand vide idéologique de la macronie.
Même pour les parlementaires, la ficelle du « en même temps » est désormais à nu. La loi asile et immigration, qui a nourri l’émergence d’une ligne sociale portée par Sonia Krimi et Martine Wonner, l’affaire Benalla et l’exposition au grand jour de la violence de l’État et des passe-droits accordés aux hommes du sérail élyséen, l’amendement sur le maintien du glyphosate : autant de preuves, pour ceux qui en doutaient encore, que le chef de l’État n’est ni socialiste, ni écologiste, ni même fondamentalement démocrate.
Héritiers d’un programme rédigé à la hâte en pleine campagne présidentielle et d’un chapitre « social » perdu depuis belle lurette, et désormais hissés au rang de fantassins dans la crise des gilets jaunes, ces élus ont de bonnes raisons d’être déçus. Mais s’ils parviennent à se doter d’une consistance politique propre, réussiront-ils à faire naître du néant une ligne idéologique ? Pour l’instant, la ligne est résolument installée à droite.