Lectures au coin du feu
Une sélection de parutions pour mettre à profit la période des fêtes.
dans l’hebdo N° 1532-1534 Acheter ce numéro
Le Peuple des abattoirs
Olivia Mokiejewski, Mon Poche, 216 pages, 7,90 euros.
Olivia Mokiejewski a poussé les portes souvent scellées des abattoirs pour s’attaquer à « l’industrie de la mort ». Cette journaliste végétarienne engagée pensait être choquée par le traitement infligé aux animaux. Ce sont finalement les conditions de travail des ouvriers qu’elle a dépeintes avec sobriété. Pour cette enquête, elle a intégré un abattoir pendant dix jours et a recueilli les confidences de ses collègues sans cacher son identité. Ce livre donne la parole à « ces travailleurs de l’ombre » et montre à quel point le sang et la mort rejoignent rapidement la banalité du quotidien pour toute personne obligée de travailler dans cet antre de la « misère cachée ».
Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre)
Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle, Seuil, 336 pages, 19 euros.
L’idée d’un effondrement en cours des sociétés thermo-industrielles et capitalistes fait son chemin dans les esprits. Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle creusent donc la question de l’après, sans tomber dans le désespoir ou l’angoisse, mais en donnant des pistes de réflexion et d’action pour gérer les conséquences psychologiques du changement climatique. Un processus en trois étapes : « se relever », « faire un pas de côté » et entrer dans la « collapsosophie », une sagesse fondée sur l’entraide et l’urgence de retisser des liens « avec nous-mêmes, entre nous et avec les autres êtres vivants ». Un manuel bienveillant pour affronter ce qui arrive et agir collectivement.
Lobbytomie Comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie
Stéphane Horel, La Découverte, 368 pages, 21,50 euros.
Distilbène, amiante, benzène… Depuis des décennies, « dans le seul but de maintenir sur le marché des produits parfois mortels, des firmes sont engagées dans une entreprise de destruction de la connaissance ». Mieux : elles font commerce de la science. Pesticides, tabac, chimie, sucre et sodas… Bienvenue dans un monde de « farfadets malfaisants capables de modifier les textes à leur avantage, parfois même à l’insu des législateurs ». Un univers d’influences, de conflits d’intérêts et de business sous le regard endormi, voire complice du pouvoir et profitant de la paralysie régulée du citoyen.
Résistances à l’impôt, attachement à l’État
Enquête sur les contribuables français
Alexis Spire, Seuil, 312 pages, 22 euros
À l’heure de la contestation des « gilets jaunes », cette enquête statistique inédite, enrichie d’entretiens et d’observations aux guichets de centres des finances publiques, dresse « un tableau précis des pratiques et des représentations liées à l’impôt en les rattachant aux positions sociales des contribuables ». De l’acceptation « négociée » des classes moyennes à la résignation face à un impôt souvent « symbole d’injustice » au sein des classes populaires, de la contestation jusqu’à la fraude ou à certaines mobilisations, voire manifestations contre l’impôt, les paradoxes sont nombreux dans un pays où l’attachement à l’État demeure néanmoins fort.
Au-delà des résistances anciennes de certaines catégories socio-professionnelles (paysans, artisans, commerçants…), Alexis Spire, sociologue spécialiste de la fiscalité et des contribuables, souligne que, contrairement à plus d’un demi-siècle plus tôt, « ce sont désormais les classes populaires qui se montrent les plus critiques à l’égard du niveau des prélèvements ». Ce qui n’est en rien un hasard puisque l’auteur montre avec brio combien, depuis quelques décennies sous forte influence néolibérale, « l’État organise son illégitimité ». Reculs de l’État social et de la progressivité de l’impôt, suppression de l’ISF et « politique souterraine en faveur des ménages aisés », promotion d’une administration sans guichet, ce sont là quelques-uns des éléments qui nourrissent aujourd’hui ce sentiment d’une véritable « injustice fiscale ».
La Fabrique des transclasses
Sous la direction de Chantal Jaquet et Gérard Bras, PUF, 280 pages, 21 euros.
Après Les Transclasses ou la non-reproduction (2014), où Chantal Jaquet s’appuyait sur les travaux de Bourdieu, la pensée de Spinoza et des œuvres littéraires pour mettre au jour ce qui rend possible le passage d’une classe sociale à une autre pour un individu, la philosophe poursuit sa réflexion dans un livre collectif qu’elle dirige avec son confrère Gérard Bras. Interdisciplinaire, La Fabrique des transclasses soulève les diverses questions que posent cet arrachement à sa classe d’origine et la situation d’entre-deux qui en résulte. Point d’éloge du mérite ici, mais un travail de compréhension de cette condition qui renvoie à la fois au social et à l’intime.
Obsession
Dans les coulisses du récit complotiste
Marie Peltier, Inculte, 136 pages, 15,90 euros
Après L’Ère du complotisme (Les Petits Matins, 2016), l’historienne Marie Peltier poursuit son travail d’exploration de cette rhétorique si caractéristique de notre époque. À partir de cas d’espèce dans l’histoire récente, que ce soit l’attentat à Charlie Hebdo, l’affaire Mennel, les accusations de viol contre Tariq Ramadan ou encore les récits autour de la guerre en Syrie, elle montre comment la scène médiatique se polarise entre des acteurs pour qui les faits semblent n’avoir plus d’autre importance que celle de soutenir leurs « obsessions » respectives, et esquisse l’espoir d’un « nouvel universalisme » pour sortir de cette polarisation.
La faiblesse du vrai
Ce que la post-vérité fait à notre monde commun
Myriam Revault d’Allonnes, Seuil, 144 pages, 17 euros.
Signe des temps, le prestigieux dictionnaire d’Oxford a choisi « post-vérité » pour mot de l’année 2016. À peu près au même moment où l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche mettait fin à une campagne électorale marquée par le phénomène des fake news. En philosophe, Myriam Revault d’Allonnes explore les fondements et le propre du « régime de vérité » de la politique qui est la marque des régimes démocratiques, au contraire des fictions idéologiques imposées des systèmes totalitaires. Ce livre est ainsi une mise en garde bienvenue quant aux dangers de la « post-vérité », qu’il nous faut mieux comprendre puisqu’elle constitue déjà une mise en cause de notre imaginaire social et politique.