Les étudiants méfiants envers les syndicats traditionnels
Depuis plus de trois semaines les AG et blocages sont de retour dans les universités. En plus de la contestation contre la hausse des frais d’inscription, les organisations traditionnelles sont confrontées à une perte de légitimité.
Opposés à l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extracommunautaires, des étudiants se mobilisent dans de nombreuses universités françaises. Six mois après la contestation de la loi ORE et de Parcoursup, le milieu universitaire se met de nouveau en ordre de bataille. Les AG se multiplient depuis trois semaines et réunissent des centaines voire des milliers d’étudiants, comme à l’université de Nanterre.
Eliot a 20 ans, il est étudiant à Paris I-Panthéon-Sorbonne, il a parfois cours à Tolbiac, centre de cette université réputé pour être le fer de lance des contestations étudiantes. Selon lui, le mouvement dans les universités n’est pas représentatif du milieu étudiant. L’augmentation des frais d’inscription pour les étrangers ? Des étudiants sont contre, certains sont pour, d’autres n’osent pas s’exprimer. « Il y a une surprésence du dogmatisme dans ces AG ! L’Unef ou Solidaires Étudiant-e-s vont donner un mot d’ordre et il n’y a pas réellement la possibilité d’être en désaccord et d’argumenter… », déplore Eliot.
Yanis, militant du collectif Justice pour Adama, en master dans la même université, est sur la même longueur d’ondes. Il estime que les étudiants veulent s’organiser de manière autonome, en dehors des organisations traditionnelles, et avec la même volonté apartisane que les gilets jaunes.
« Les étudiants sont très politisés et tiennent des discours très construits ! »
Lors des AG à Tolbiac comme à Nanterre, des voix plus timides que les autres descendent à la tribune pour prendre la parole. Entre les interventions des plus expérimentés qui débattent du fait de rejoindre la CGT ou les gilets jaunes, eux s’intéressent plutôt à la manière dont le mouvement est perçu par le milieu étudiant. Ils réclament une plus grande pédagogie des méthodes d’actions employées, afin de ne pas se mettre à dos les étudiants. Ces étudiants-là ne font partie d’aucune organisation. Mais sitôt leur intervention terminée, les débats reprennent sans y faire référence. À la prochaine AG, on ne les entendra plus.
« Les étudiants sont très politisés et tiennent des discours très construits ! » affirme Tomek, étudiant et militant de La France insoumise. Lui aussi fait le lien avec les gilets jaunes et explique que, à l’instar des partis politiques traditionnels, les organisations étudiantes sont en perte de vitesse. Selon lui, il y a une peur de voir le mouvement récupéré par l’Unef, comme ce fut déjà le cas dans le passé. « On se souvient encore de l’Unef qui se targue d’avoir mis les étudiants dans la rue contre la loi Fioraso de 2012 et de négocier au ministère au nom de tous les étudiants, alors qu’ils n’étaient pas représentatifs du mouvement », rappelle Tomek.
Au contraire, la présidente de l’Unef, Lilâ Le Bas, relativise la défiance envers son syndicat, qui a toujours existé selon elle. La méfiance qui s’exprime dans la société envers les organisations traditionnelles se répercute aussi dans l’Unef, explique-t-elle, mais elle estime néanmoins que son organisation « n’est pas en perte de vitesse et a aujourd’hui bien plus d’adhérents que pendant la contestation de la loi ORE : l’engagement sur le long terme se fait dans les organisations traditionnelles ». Pour la syndicaliste, les étudiants qui s’engagent à l’Unef ne souhaitent pas seulement se défendre face à des réformes qu’ils considèrent comme des reculs, mais veulent aussi gagner de nouveaux droits.
Ce message a été publié le 10 décembre par la page Facebook regroupant les différentes actions de lutte contre l’augmentation des frais d’inscription. L’UEAF (Union des étudiants algériens de France) est directement accusée de vouloir récupérer le mouvement de contestation. « Nous avons été conviés à un point information, car nous et quatre autres organisations sommes à l’initiative des manifestations », explique Sofiane, président de la section de l’UEAF à Jussieu. Son organisation existe depuis plus de vingt-six ans, il considère qu’elle a la légitimité pour représenter les intérêts des étudiants étrangers. Il assure qu’ils n’ont fait que remonter les doléances émises en AG auprès du cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur.
« L’AG a voté contre le blocage mais ils ont quand même bloqué l’université »
Pour Eliot, de Paris I, les étudiants sont majoritairement opposés au blocage de leur université. Bien que les militants invitent les étudiants à se rendre en AG afin de donner leur avis, le 14 décembre, une AG à Tolbiac a voté contre la poursuite du blocage ; pourtant, dès le lundi suivant, la fac était de nouveau bloquée. Les étudiants ne veulent donc plus se rendre aux AG, et considèrent que ce n’est pas le seul cadre légitime pour débattre. « On aimerait aussi réfléchir aux actions et même les réfléchir à l’échelle nationale, mais les AG n’apportent pas le cadre nécessaire », déplore Eliot, en ajoutant que certains de ses amis avaient réfléchi à des propositions comme créer une nouvelle bourse permettant de pallier à l’augmentation des frais d’inscription.
Un réel mouvement anti-blocage existe à l’université Panthéon Sorbonne, il prend forme surtout sur les groupes Facebook de l’université où s’accumulent les blagues et les mèmes contre les bloqueurs. Cependant, des messages sérieux sont parfois « likés » à plus de 700 reprises et des sondages rejettent massivement le blocage.
Cette crise de la représentation dans les universités est partagée par Pierre Gervais, professeur au centre Censier de l’université Sorbonne Nouvelle. « Lors de la dernière AG, les militants à la tribune voulaient débloquer l’université, mais l’AG a voté pour la continuité du blocage ! » Il décrit le rôle important des organisations traditionnelles qui apportent leur soutien logistique au mouvement, mais remarque que ce mouvement de contestation voudrait s’émanciper des syndicats étudiants. Yanis, le militant du collectif Justice pour Adama, résume : « On veut défiler derrière une banderole, pas derrière une organisation. »
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