Trop peu et trop tard
Nous sommes dans cette situation étrange et peu reluisante où cette violence et ce vandalisme, qui nous font horreur, ont finalement obtenu ce que les plus pacifiques n’auraient pas obtenu seuls.
dans l’hebdo N° 1530 Acheter ce numéro
Bien sûr, ce n’est encore qu’une révolte, sûrement pas une révolution. Il n’empêche qu’il était urgent d’agir. Mais en faisant annoncer, mardi, par son Premier ministre, un moratoire de six mois sur les taxes et autres augmentations, Emmanuel Macron a sans doute agi trop tard. Et la reculade risque d’être très insuffisante. Va-t-il devoir revenir aussi sur la suppression de l’impôt sur la fortune, faute psychologique majeure du début du quinquennat ? Ou augmenter le Smic ? Le dilemme pour Emmanuel Macron est redoutable : ou bien mettre le pays à feu et à sang, ou bien devenir, lui le jeune et pimpant « réformateur », un roi fainéant, digne héritier des Mérovingiens et de Jacques Chirac. Et finir en spectateur de son propre quinquennat. Mais, au-delà de sa personne, ce qui est en cause, c’est l’avenir d’une politique néolibérale dictée à la France depuis près de trente ans par les institutions financières et la Commission européenne, et à laquelle Emmanuel Macron n’a fait qu’ajouter quelques traits d’arrogance personnels. Il paye aussi l’addition pour ses prédécesseurs. Sa défaite – car c’en est une ! – résulte, finalement, de la somme de plusieurs « victoires » contre les syndicats, et contre la démocratie.
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Nous sommes ainsi dans cette situation étrange et peu reluisante où cette violence et ce vandalisme, qui nous font horreur, ont finalement obtenu ce que les plus pacifiques des gilets jaunes, pourtant de loin les plus nombreux, n’auraient pas obtenu seuls. Ce sont les vandales, les pilleurs et les éléments les moins conscients, et parfois les plus étrangers au mouvement, qui l’ont emporté. Même si nous avons bien vu que l’exaspération des uns a parfois rejoint la folie destructrice des autres. Et il n’y a pas loin aujourd’hui pour que les lycéens, les ambulanciers, et demain d’autres catégories jusqu’ici méprisées, retiennent la leçon. D’où la soudaine panique gouvernementale.
Voilà maintenant Édouard Philippe contraint d’essayer de faire rentrer la colère du peuple dans les formes classiques de la démocratie, parlementaires et syndicales. Ces formes que le président de la République s’est ingénié à briser depuis de longs mois. Peu de chance qu’il y parvienne alors qu’un mouvement incontrôlable a fait la preuve de son efficacité.
L’économiste officiel de la macronie, Philippe Aghion, en doute aussi, lui qui en vient à conseiller au Président de prendre des libertés avec les critères de Maastricht. Ce blasphème proféré par un dévot du libéralisme en dit long sur la peur qui s’empare des sommets de l’État. Quant à l’autre désastre de cette affaire, il est écologique. C’est la taxe sur le diesel qui fait les frais, si j’ose dire, de l’opération « sauve-qui-peut » gouvernementale. Et c’est la manif contre le réchauffement climatique que l’on veut interdire (ou fortement déconseiller) pour laisser place nette samedi à « l’acte IV » de l’affrontement entre gilets jaunes et CRS… C’est dire que cette situation ne peut nous réjouir. D’autant que si le recul du gouvernement est loin de suffire, il risque d’être encore trop pour quelques irascibles de la droite néolibérale. Bruno Le Maire, par exemple, qui promet déjà de compenser les pertes de recettes consécutives à l’abandon des taxes par une « accélération des baisses des dépenses publiques ». Fermons encore un peu plus d’écoles et d’hôpitaux… Notre ministre de l’Économie a tout compris. À tous égards, la situation n’a donc pas cessé d’être inquiétante. Car nul ne sait non plus ce que peut donner politiquement le mouvement des gilets jaunes. La défaite d’un gouvernement bien peu démocratique n’est pas obligatoirement synonyme de victoire de la démocratie.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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