Trump coupe la route à la caravane des migrants
Bloqués à la frontière à Tijuana sans guère d’espoir d’être accueillis aux États-Unis, des centaines de migrants ont commencé à se disperser.
dans l’hebdo N° 1530 Acheter ce numéro
La caravane des migrants s’est fracassée à Tijuana contre l’imposant dispositif militaire déployé par les autorités états-uniennes. À quelques mètres de la frontière, le rêve américain était à portée de regard, matérialisé par San Diego, deuxième ville de Californie, qui se dessine le long du trait de plage de la côte Pacifique. Mais les migrants ne toucheront ce paysage que du regard, au travers d’infranchissables barrières que surveillent en permanence des gardes-frontières lourdement équipés.
À lire aussi >> Amérique centrale : Tenter le passage, une fois encore…
D’abord composée de 2 000 Honduriens parvenus au Guatemala, la caravane a compté jusqu’à plus de 7 000 marcheurs, dont 1 500 enfants, gonflée par des participants guatémaltèques, salvadoriens ou mexicains, sur un parcours de 4 300 kilomètres qui les a menés de San Pedro Sula (Honduras), mi-octobre, jusqu’à la ville frontière entre le Mexique et les États-Unis, fin novembre. Selon les autorités mexicaines, leur nombre aurait même atteint 9 000 en bout de course, et plus de 2 000 autres candidats feraient toujours route au nord, vers la terre promise. Et inaccessible. Les forces de l’ordre ont brutalement repoussé quelques centaines de migrants qui manifestaient vers le poste-frontière pour revendiquer leur droit à l’asile. Les images d’enfants dépenaillés fuyant les gaz lacrymogènes ont déclenché des réactions scandalisées aux États-Unis. Sans infléchir d’un iota la position des autorités : l’administration Trump, ouvertement hostile à l’immigration, n’entend pas faire le moindre effort pour considérer la situation désespérée des candidats à l’accueil. Au printemps dernier, les mesures de séparation systématiques des enfants et des parents interceptés à la frontière en situation illégale avaient suscité une émotion considérable.
Durant les quelque six semaines de sa lente pérégrination, la caravane a été la cible privilégiée de la diatribe de Donald Trump. Avant et après des élections de mi-mandat (6 novembre) à fort enjeu de politique intérieure, le Président a attisé l’animosité des républicains contre l’immigration, dénonçant un « assaut » en préparation pour « violer les frontières » et « submerger » le pays, accusant ses adversaires démocrates de l’encourager. Jusqu’à dénoncer la « grosse arnaque » d’une caravane humanitaire de personnes fuyant la pauvreté et la violence dans leur pays, alléguant la présence importante de terroristes musulmans et de membres du très violent gang Mara Salvatrucha (MS-13). Pour renforcer les 2 000 gardes-frontières, Trump a dépêché jusqu’à 6 000 militaires à la frontière mexicaine, les encourageant à tirer sur les migrants qui s’aviseraient de leur jeter des pierres. Il a autorisé le rejet automatique de toute demande d’asile déposée par des migrants illégalement entrés dans le pays, remettant en cause le droit du sol pour les enfants nés aux États-Unis de parents sans papiers.
Hyperactif sur ce front, Trump a mis la pression sur les gouvernements hondurien, guatémaltèque et salvadorien, « incapables d’empêcher les gens de quitter leurs pays ». Ce « triangle du Nord » est depuis des années le creuset d’une émigration massive, en raison de conditions économiques difficiles, mais aussi de graves crises politiques ainsi que d’un degré de violence très élevé. Alors qu’un accord de 2014 engage les États-Unis à verser 750 millions de dollars d’aide économique à ces pays pour qu’ils réduisent les migrations, Trump menace désormais de fermer le robinet.
Les demandes d’asile pour les États-Unis sont officiellement passées de 5 000 à 97 000 depuis 2013. Et les chances de les voir aboutir, pour les migrants de la caravane, sont très minces. Encore leur faudra-t-il de la patience et de quoi tenir bon jusqu’à plusieurs mois : les services de l’immigration ne traitent que quelques dizaines de dossiers par jour. Quand bien même le Mexique accepterait d’accueillir temporairement les candidats à l’immigration dans cette attente, des centaines d’entre eux ont commencé à quitter Tijuana, souvent pour prendre le chemin du retour. Pour les autres, la pluie, les conditions sanitaires et une extrême précarisation pourraient avoir rapidement raison des derniers espoirs démesurés de ceux « qui ne courent pas après le rêve américain, mais fuient le cauchemar hondurien », selon la formule de Jari Dixon, député d’opposition du pays.