Bienvenue sur ma liste !
Pour les européennes, partis et mouvements de gauche mettent en avant des candidats issus de syndicats, d’ONG, d’associations ou de la société civile. Une pratique ancienne mais qui est devenue incontournable et en dit long sur la crise démocratique.
dans l’hebdo N° 1537 Acheter ce numéro
Avant d’accepter, l’ex-porte-parole de l’ONG Oxfam, Manon Aubry, qui n’a jamais été encartée dans aucun parti politique, s’est écrit une lettre. « Je me suis promis de ne pas faire de langue de bois, de ne pas tirer profit des avantages d’un élu, de ne pas sacrifier l’équilibre de ma vie personnelle à la politique… Bref, de rester fidèle à moi-même et à mes combats », explique la tête de liste de La France insoumise pour les élections européennes. Charge à elle de s’y tenir, et à ses amis – à qui elle a aussi adressé cette lettre – de la rappeler à l’ordre si besoin. Comme elle, plusieurs personnalités issues des rangs d’ONG, de syndicats ou simplement de la société civile rejoindront, à des places éligibles ou non, les listes de gauche pour le scrutin de mai.
Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, qui se flatte de présenter une liste « à l’image de la société française », n’est pas seul sur le créneau des listes citoyennes ou ouvertes à d’autres personnes qu’aux traditionnels représentants du monde politique. « Tout le monde va faire des listes citoyennes », constate Manuel Bompard, directeur des campagnes et candidat pour LFI. Génération·s, le mouvement de Benoît Hamon, a récemment créé un comité électoral destiné à recueillir les candidatures de ses militants. « Nous avons déjà reçu un millier de dossiers, dont certains sont très intéressants », confirme Pascal Cherki, proche de l’ancien candidat à la présidentielle et membre de Génération·s. Même le Parti socialiste, toujours en pleine reconstruction, envisage sérieusement cette hypothèse.
Place publique, l’entité à mi-chemin entre le think-tank et le parti politique de Raphaël Glucksmann, se veut le représentant de cette tendance : dans son acte de naissance, ses membres promettent de « partir du terrain et des idées pour produire une nouvelle offre politique ». Le mouvement a lui aussi lancé, le 14 janvier, une grande consultation publique. Écho citoyen à une rencontre organisée en décembre entre les différents partis de gauche – excepté LFI – pour discuter d’une liste commune à toutes les forces, cette consultation doit s’achever le 14 février. « C’était très intéressant, mais politiquement assez vide », glissait l’un des participants à la sortie de l’événement.
Courtisés
Toujours est-il qu’aujourd’hui les politiques n’envisagent plus de partir en campagne sans embarquer à leurs côtés des représentants du peuple. « On a cherché des gens qui incarnaient le mieux certains combats : spécialistes des travailleurs détachés, exil fiscal… » détaille Manuel Bompard. Experts ? Caution de représentativité ? Cette tendance révèle surtout l’incapacité des appareils politiques à fédérer autour d’eux et de leur projet. « Il y a une vraie défiance, un réel désaveu des partis traditionnels », explique Manon Aubry, qui confirme avoir été courtisée par plusieurs mouvements avant de rejoindre LFI.
« Les politiques ne peuvent plus prétendre au monopole de la représentation », indique pour sa part Pascal Cherki. Au sein de la classe politique, la crise est profonde. « Les appareils sont encore dans leur propre survie », analyse-t-il. Le dégagisme et l’abstention n’ont-ils pas permis à la libérale République en marche et au populisme d’extrême droite de se hisser au second tour de la présidentielle ?
Cependant, l’intégration de citoyens sur les listes va au-delà des considérations électoralistes. « Normalement, porter les combats de la société civile devrait être le boulot des politiques, mais ça ne l’est plus », déplore Pascal Cherki. Alors, pour porter les combats qu’ils ne sont plus en mesure d’incarner, les partis vont chercher des citoyens. Le PCF a ainsi propulsé à la deuxième place Marie-Hélène Bourlard, ancienne représentante CGT de l’usine Ecce de Poix-du-Nord (vue notamment dans Merci patron !, le film de François Ruffin, en 2016). Génération·s courtise pour sa part Cédric Herrou, le militant pour l’accueil des migrants à la frontière italienne (et vu, lui, dans Libre, le film de Michel Toesca sorti en 2018).
La pratique n’est pas nouvelle. « Un parti politique, même le meilleur – avec ses militants, ses cadres et ses élus –, peut-il se prévaloir à lui seul de porter des enjeux sociaux et environnementaux aussi colossaux ? Je ne le pense pas. Je ne le pense plus », affirmait déjà la conseillère régionale EELV Marie Bové en 2015, dans une tribune publiée par Politis, avant de rejoindre le mouvement La Vague citoyenne pour les élections régionales en Nouvelle-Aquitaine. « Les partis ont l’habitude de faire appel aux personnalités de la société civile pour séduire les électeurs. Aujourd’hui, c’est aux citoyens qui ont une nouvelle vision du monde de proposer d’apporter leur expertise à des partis déconsidérés et à bout de souffle », argumentait-elle.
Codes du jeu politique
Car les personnalités issues de la société civile cru 2019 ne sont pas dupes. Il n’est aujourd’hui plus question de jouer les potiches : si elles acceptent de se lancer en politique, c’est pour agir. « Je coche toutes les cases : je suis jeune, je suis une femme, je viens d’une ONG et je suis spécialiste de l’exil fiscal », confirme Manon Aubry, qui martèle : « Je ne suis pas une caution et ça n’était pas la démarche de La France insoumise. » « On rapporte la politique aux citoyens pour qu’ils s’en réemparent », résume-t-elle. « Il n’y a pas d’un côté les citoyens et de l’autre les politiques », abonde Manuel Bompard, qui croit en un projet alliant toutes les forces citoyennes.
Codes du jeu politique obligent, ces candidats d’un genre nouveau peuvent être à la peine. Difficile, lorsque l’on est représentant syndical, militant associatif ou assistante maternelle, d’être spontanément à l’aise sur les plateaux de télévision, dans les émissions de radio ou dans les colonnes des journaux. « Même si j’étais prévenue, j’ai eu des surprises », reconnaît Manon Aubry, pourtant rodée à l’exercice. À LFI, décision a été prise de proposer aux candidats plusieurs séminaires de formation. « Ils servent à construire la ligne, à échanger sur le programme, à organiser la bataille politique et à permettre le partage d’expérience », détaille Manuel Bompard. Plus spécifiquement, des formations de média-training sont dispensées, tout comme certaines dédiées aux réseaux sociaux. « Je ne savais pas, par exemple, me faire une page Facebook publique à mon nom », avoue la tête de liste des Insoumis. Autant de petits détails qui, mis bout à bout, finissent par compter. L’expérience et la pratique feront le reste. « On ne naît pas parlementaire, on le devient », résume, philosophe, Pascal Cherki. Pour les petites phrases aussi ?