Climat : les citoyens prennent l’affaire en mains
Le succès de la pétition « L’Affaire du siècle » et des Coquelicots montre une prise de conscience qui attend une réponse politique.
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Le 17 décembre, le premier acte d’un recours en justice climatique face à l’État français était lancé par quatre associations corequérantes : Notre affaire à tous (NAAT), Greenpeace France, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) et Oxfam France. En trois semaines, près de deux millions de personnes ont signé l’appel accompagnant ce qui est désormais connu sous le nom de « L’Affaire du siècle ». « Cette demande est le début d’une procédure judiciaire de longue haleine, dans laquelle les parties sont amenées à s’échanger des arguments, détaille Marie Toussaint, présidente de NAAT. Nous attendons une réponse de l’État dans les deux mois, à la suite de quoi nous demanderons au tribunal administratif de Paris d’engager la procédure, qui devrait durer environ deux ans. »
Le succès citoyen rapide de l’initiative a surpris les quatre organisations. « Attaquer l’État en justice est tout de même une action radicale, donc nous pensions que ce ne serait pas grand public, or c’est l’inverse ! », confie Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France. « Cela montre que les thématiques écologiques préoccupent les Français et ne sont pas réservées aux “bobos”, comme on peut l’entendre parfois », glisse Audrey Pulvar, porte-parole de la FNH.
Pour Greenpeace France, l’un des points forts de cette démarche est de ne pas mettre en avant les souhaits de chaque association, mais de pointer ce que l’État s’est engagé à faire. « Le juge s’exprimera uniquement là-dessus. François de Rugy se trompe lorsqu’il dit que “ce n’est pas dans un tribunal qu’on va faire baisser les émissions de gaz à effet de serre”_, car il existe des textes contraignants à différents niveaux, et l’urgence est telle qu’il faut tout essayer »,_ assure Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.
« Les propositions émanant de la société civile en matière environnementale, plus largement en matière sociale, et de façon plus ponctuelle en matière climatique, sont très intéressantes car cela veut dire que les choses bougent », assure Marta Torre-Schaub, directrice de recherches au CNRS et fondatrice du réseau Droit et Climat. Mais la nature juridique de la lettre adressée au gouvernement la laisse dubitative. « En tant que juriste, on peut se demander comment qualifier cette démarche, car c’est un hybride : ce n’est pas encore un recours, ni tout à fait une pétition selon l’ordonnance de 1958, pouvant donner lieu ensuite à une proposition de projet de loi. »
Quant aux signatures de l’appel, cela ne devrait pas avoir d’impact concret sur le juge. « Si cela arrive jusqu’au recours, le juge jouera son rôle d’interprète des textes législatifs, mais je ne pense pas qu’il prendra en compte le nombre de signatures, poursuit la juriste. Cela peut seulement lui faire sentir qu’il y a une attente importante de la part de la société civile. »
« Certains habituellement sceptiques face aux pétitions l’ont signée et relayée, car ce soutien aura un impact réel via le recours juridique, complète Jean-François Julliard. Ces signatures seront précieuses dans le rapport de force engagé face au gouvernement. »
Cet engouement autour de l’Affaire du siècle s’inscrit dans un élan de mobilisation citoyenne qui ne s’essouffle pas depuis septembre dernier, avec la démission de Nicolas Hulot et la première marche pour le climat, puis les répliques des mois suivants qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Sans oublier la convergence naissante entre marches climat et gilets jaunes !
Quant à l’appel « Nous voulons des coquelicots » (1) pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse, il approche des 450 000 signatures, et des rassemblements ont toujours lieu chaque premier vendredi du mois dans toute la France.
Face à cette ferveur citoyenne, l’atonie des responsables politiques est symbolisée par l’échec de la COP 24. « Nous aurions tout intérêt à avoir une sorte de convergence ou de stratégie d’unification autour de trois ou quatre points que nous voulons arracher en urgence, sur lesquels mettre toutes nos forces. Comme l’a fait la coalition belge en décembre dernier, expose Txetx Etcheverry, membre d’Alternatiba et de l’association Bizi. Attaquer l’État sur le front de l’urgence écologique et climatique correspond à un vrai besoin politique et c’est une arme nouvelle. »
La communication 2.0 autour de l’Affaire du siècle et la vidéo Youtube ultra-virale ont fortement contribué au succès de la pétition. Mêlant des personnalités comme Guillaume Meurice, Juliette Binoche, Pablo Servigne à des Youtubeurs cumulant des millions d’abonnés, elles ont permis d’interpeller de nouvelles consciences en dehors des cercles militants écologistes habituels. Mathieu Duméry, alias Professeur Feuillage sur Youtube, reconnaît que l’implication de vidéastes non spécialisés sur les sujets écologiques a été un atout. « En un partage, ils font plus de bien à l’écologie que nous n’en avons jamais fait avec Professeur Feuillage en cinq ans d’activité. Je ne suis pas persuadé qu’ils ont changé leur mode de vie, mais ce n’est pas grave. L’écologie doit être un sujet dont on parle au dîner, comme le foot et la politique ! » assume celui qui aurait bien vu un boulanger ou un prof apparaître dans cette vidéo pour toucher encore plus de monde. « Il ne faut jamais négliger l’opinion publique car elle peut renverser des pouvoirs, créer de la morale et engendrer des lois. Aujourd’hui, l’opinion publique veut simplement que la loi soit appliquée. Je pense que les signataires ont en eux ce sentiment d’injustice qui est un levier important pour faire bouger les masses », conclut-il.
Sandra Regol, porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts, entend également ce succès comme l’expression d’un besoin citoyen de faire pression sur les élus sans passer obligatoirement par le vote. Pourtant, cette « citoyenneté écologique » émergente, comme l’a qualifiée la politologue Carole-Anne Sénit dans une tribune parue dans Le Monde (2), est loin de se muer en vote écologiste. « Ce qui se passe en ce moment, c’est ce qu’EELV explique depuis des années. Je me dis que cela a quand même infusé dans la société et participé à la prise de conscience », glisse Sandra Regol.
« Il y a dix ans, nous étions face à des climato-sceptiques, comme Claude Allègre, et nous devions aligner les arguments scientifiques. C’était un cache-sexe facile pour dissimuler la nécessité d’agir, rappelle Cécile Duflot. Aujourd’hui, nous passons un cap pour une raison triste : les gens vivent le changement climatique directement chez eux ! L’urgence est plus importante, mais les délais pour agir sont plus courts. » Rendez-vous en février pour savoir si l’Affaire du siècle se poursuivra au tribunal.