Les hôtesses d’accueil, piégées dans la précarité et la féminité
La sociologue Gabrielle Schütz déconstruit les idées reçues sur les hôtesses d’accueil. Entre injonction exacerbée à la féminité et précarité, la réalité de leur métier est souvent très complexe.
Les hôtesses d’accueil sont souvent réduites à leurs beaux sourires. Et pourtant. Comme l’a déjà montré Politis (1), leur déconsidération et leur manque de reconnaissance sont de coutume. À travers une sociologie du genre et du travail, Gabrielle Schütz, dans son ouvrage Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil, montre comment ces nouvelles figures du salariat précaire et essentiellement féminine doivent développer un large panel de compétences pour résister, dans un univers extrêmement exigeant.
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Les hôtesses d’accueil en événementiel ou en entreprise sont majoritairement employées en CDD ou en CDI à temps partiel par des sociétés prestataires de service. Leur rémunération dépasse rarement le salaire minimum. Comme souvent dans les cas d’externalisation, ces emplois sont précaires. La flexibilité, qui implique que les emplois du temps et lieux de travail ne soient pas prévus à l’avance, ne s’accompagne pas d’une sécurité de l’emploi et d’une rémunération qui compenseraient ces contraintes. À cela s’ajoutent des perspectives d’emploi limitées et la menace constante de révocation. Mises en concurrence, les hôtesses sont en permanence sous tension, comme si elles étaient toujours en période d’essai.
L’externalisation crée également une relation d’emploi triangulaire entre l’hôtesse, l’employeur et le client, que Gabrielle Schütz décrit comme autrement plus complexe qu’une traditionnelle relation salarié-employeur. L’hôtesse est soumise à deux autorités hiérarchiques : celle de son employeur, intermédiaire qui la met en relation avec le client afin qu’elle vienne travailler directement chez lui ; et celle du client de son employeur, qui donne les instructions à l’hôtesse pour qu’elle accomplisse le service demandé. Imbriquée dans ces différentes relation d’autorité, l’hôtesse d’accueil devient une sorte d’auto-entrepreneuse qui doit constamment gérer sa réputation, l’allocation de son temps, ses compétences, son employabilité, tant auprès de son employeur que du client. Si les prérequis de ces postes sont de « savoir lire, écrire, compter » (2), l’accueil est pourtant loin de sa réputation d’emploi non qualifié. Le sociologue Bernard Lahire, cité par Gabrielle Schütz, explique que « l’absence d’un savoir explicite, explicitement enseigné, considéré comme un préalable à l’entrée dans le poste, implique une non-reconnaissance des savoirs pratiques » (3). Les compétences relationnelles et l’adaptation constante dont les hôtesses doivent faire preuve ne sont donc pas reconnues : ces qualités sont considérées comme naturelles, ce qui justifie la faible rémunération.
Les hôtesses doivent être désirables
Si ce métier souffre d’une représentation aussi dévalorisante, c’est également parce qu’il est très majoritairement féminin – les hôtes d’accueil sont rares. L’image des hôtesses découle directement des représentations traditionnellement associées aux femmes, qui sont elles-mêmes dévalorisantes. De plus, ce métier s’inscrit dans « la division sexuée du travail qui réserve aux femmes les tâches d’assistance et de représentation », analyse Gabrielle Schütz. Les compétences et les exigences qu’il requiert entrent en adéquation parfaite avec les stéréotypes de la « nature féminine » : être à l’écoute, dévouée, empathique, douce.
Et plus encore : les hôtesses doivent être désirables. Le corps est une « ressource » à part entière dans cette activité, il demande un investissement considérable qui, lui non plus, n’est pas reconnu – et n’est donc pas rémunéré. Car outre les caractéristiques physiques plus ou moins valorisées et discriminantes (la couleur de la peau, la taille, le poids, la beauté), les hôtesses doivent veiller à être désirables via leur tenue, leur maquillage et leur coiffure, qui sont contrôlés et standardisés. Leur maquillage ne doit pas être « vulgaire », mais « soigné ».
Pour l’événementiel, l’agence Réceptor impose que les cheveux courts soient « dégagés à l’aide de laque ou de gel », que les cheveux mi-longs soient « bien en arrière à l’aide de laque ou de gel », et que les cheveux longs soient « attachés en queue-de-cheval basse avec la barrette Réceptor ». En lettres capitales, les consignes énoncent un interdit qui semble vital : « JAMAIS DE CHOUCHOU OU DE PINCE CRABE ». Cette agence impose également aux hôtesses de porter des « escarpins noirs en cuir » à talons d’une hauteur de « 4 à 5 cm ».
Transformées en « femmes à tout faire »
La femme-objet réalise alors une véritable « performance de genre », résume l’auteure : elle doit jouer un rôle, celui d’incarner les stéréotypes de la féminité, pour mener à bien la tâche qui lui est demandée. Par ce biais, elle « réassure les identités hétérosexuées ». La femme séduisante et dominée est au service de l’homme viril et dominant. Se faire draguer fait partie du quotidien des hôtesses, et on attend même d’elles qu’elles jouent le jeu a minima, afin de ne pas offusquer l’ego des interlocuteurs.
Puisqu’il est perçu comme incarnant la féminité, ce métier est vu aussi comme « prolongement de l’activité domestique ». Les hôtesses sont poussées à réaliser des tâches qu’elles ne sont pas censées faire : préparer les salles de réunion, arroser les plantes, gérer les stocks de nourriture, laver la vaisselle, etc. En d’autres termes, elles sont transformées en « femmes à tout faire ». Comme le travail domestique, ces tâches sont invisibilisées – et donc non rémunérées.
L’étude sociologique de Gabrielle Schütz illustre les actuelles transformations du monde du travail. L’individu doit être entrepreneur de sa propre vie dans un monde où il est toujours moins protégé par des droits explicites. Les entreprises suivent un impératif de rentabilité absolue, que rien ne doit entraver. L’externalisation, « habile contournement des protections du salariat », écrit l’auteure, permet d’optimiser cet impératif au détriment des travailleurs toujours plus démunis. Quant à la question du genre, « plonger dans l’univers des hôtesses d’accueil donne à apprécier une des places que le capitalisme contemporain assigne à la féminité : érigée en symbole de l’entreprise, missionnée à des fins de représentation, simultanément dévalorisée et toujours subordonnée », résume l’auteure. Travaillant rarement à temps complet, les hôtesses d’accueil incarnent la précarité dans laquelle se trouvent les femmes qui occupent des emplois peu qualifiés, ou considérés comme tels. Finalement, souligne Gabrielle Schütz, « les rapports sociaux de classe, de race, de sexe », loin de progressivement agoniser, semblent se durcir avec l’expansion du néolibéralisme et de la mondialisation.
(1) Hôtesses d’accueil : derrière le sourire, la souffrance, Politis, 1er mars 2017.
(2) Convention collective des prestataires de service (n°3301), rubrique « classification des emplois ».
(3) Cité page 128 par Gabrielle Schütz : Bernard Lahire, La Raison des plus faibles. Rapport au travail, écritures domestiques et lectures en milieux populaires, Presses universitaires de Lille, Lille, 1993, p. 51.
Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d’accueil, Gabrielle Schütz, La Dispute, Paris, 2018, 242 pages, 22 euros.
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