L’usine verte fermée continue de polluer

Un rapport commandé par le collectif de parents d’élèves, habitants et usagers du quartier des Messiers à Montreuil (Seine-Saint-Denis) confirme la pollution engendrée par l’usine voisine et préconise des investigations supplémentaires.

Ingrid Merckx  • 23 janvier 2019
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L’usine verte fermée continue de polluer
© Photo : Martin BUREAU / AFP

C’est la première étude sérieuse dont disposent les riverains de l’usine verte à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le 21 décembre le bureau d’étude Burgeap, certifié et reconnu dans le milieu des diagnostics environnementaux sur les sites et sols pollués, a remis au Collectif des parents d’élèves, habitants et usagers du quartier des Messiers un rapport intitulé « Synthèse documentaire et diagnostic environnemental du milieu souterrain ». Il a été mis en ligne sur le site du collectif, à disposition de tous. « Un choix que nous avions fait dès le départ », rappelle Christine Bombal, membre du collectif et voisine la plus proche de la Snem, usine de traitement de métaux rebaptisée « l’usine verte » en raison de la couleur des tôles qui recouvrent sa façade.

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Car la bataille menée par ce collectif est d’abord une bataille pour l’information. Encore aujourd’hui, sauf les affiches jaunes chrome VI affublées d’une tête de mort collées dans les rues, quel nouvel arrivant dans le quartier est prévenu d’un risque de contamination des sols, de l’air et de l’eau que fait courir cette usine alentour ? Pendant longtemps, les habitants ont ignoré qu’elle était encore en activité tant son aspect extérieur détérioré laissait imaginer le contraire.

La pollution déborde

« Depuis plus de 10 ans, des riverains interpellent régulièrement la préfecture au sujet de la vétusté criante des bâtiments et des conditions hors normes dans lesquelles se poursuit l’exploitation de ce site », indique le site du collectif qui organise une conférence de presse sur le thème « La pollution déborde » ce mercredi 23 janvier 2019.

Odeurs âcres, déversements d’acides sur les trottoirs, fenêtres de toit des ateliers grandes ouvertes alors que l’usine est censée filtrer toutes les vapeurs toxiques qu’elle produit avant de les rejeter vers l’extérieur… Les pouvoirs publics ont systématiquement été alertés de ces manquements aux règles les plus élémentaires de sécurité, sans que l’activité de l’usine soit pour autant suspendue.

La fermeture de la Snem placée en liquidation judiciaire le 26 juin 2018 n’a pas stoppé le risque de pollution pour autant. La Snem est située dans un quartier pavillonnaire, à proximité de deux écoles et d’un parc classé Natura 2000, soit dans un environnement qualifié de « sensible ». Ce pourquoi le collectif n’a cessé de réclamer aux pouvoirs publics des diagnostics environnementaux sur le site, pour les salariés de l’usine, et autour du site pour les riverains. Les premières plaintes de riverains pour nuisances sonores et émanations gazeuses datent de 1958.

Le site est en effet occupé par des activités liées aux métaux depuis 1940. D’autres plaintes ont été enregistrées en 1987. La survenue de plusieurs cas de leucémies rares dans le quartier à partir de 2006 a relancé la colère des habitants qui se bagarrent depuis lors et dans une certaine indifférence jusqu’à la parution d’un article dans Le Monde à l’été 2017.

Afin de se conformer à la demande de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee), la Snem, sous-traitant des groupes Airbus et Safran, a engagé un diagnostic de pollution sur les milieux sol et gaz du sol. Un rapport rendu par le bureau d’études Dekra remis le 28 novembre 2017 a mis en évidence sur le site même de l’usine des pollutions organiques (trichloroéthylène et tétrachloroéthylène principalement) et des pollutions inorganiques (métaux : cadmium, chrome, chrome VI, cuivre, plomb, nickel, zinc).

Un deuxième rapport du bureau d’études Dekra portant cette fois sur l’analyse des enjeux sanitaires et publié le 18 janvier 2018 estimait les risques sanitaires sur le site _« acceptables », mais recommandait la réalisation d’une interprétation de l’État des milieux autour de la zone d’étude, soit à l’extérieur.

« Ces études complémentaires, nous les attendions ! Or, elles n’ont pas été menées… » , s’indigne Christine Bombal. En effet, dans un courrier au maire de Montreuil, Patrice Bessac, daté du 12 juillet 2018, le préfet de Seine-Saint-Denis, Pierre-André Durand, déclare : « La réalisation d’investigations complémentaires portant sur d’éventuels impacts des activités de l’usine (…) n’apparaît aujourd’hui plus appropriée du fait de la cessation de ses activités. »

« La liquidation de la Snem ayant été prononcée, c’est comme si l’ardoise avait été effacée… », soupire Christine Bombal. Le collectif a donc pris sur lui de demander, avec l’appui des Verts-Alliance européenne et d’une cagnotte citoyenne, une étude à Burgeap sur l’état des sols autour de l’usine.

L’Etat se dégage de toute responsabilité désormais

Le 23 janvier néanmoins, la préfecture de Seine-Saint-Denis a publié un communiqué de presse affirmant que la mise en sécurité du site et le respect des prescriptions de l’arrêté avaient été constatés en août 2018 par l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement : « évacuation et élimination des produits et déchets par des sociétés agréées, nettoyage et inertage des cuves attestés par des bordereaux de suivi et certificats…». Le communiqué précise ensuite qu’après plusieurs lettres de relance, __« le préfet a mis en demeure le liquidateur par voie d’arrêté préfectoral du 11 janvier 2019 de réaliser la concertation réglementaire sur l’usage futur du site. » Enfin, la préfecture se réjouit de constater que les conclusions auxquelles arrive l’étude de Burgead « n’appellent pas de commentaires ou d’inquiétudes particuliers ».

La pollution trouvée serait « une pollution fréquemment retrouvée dans les sols urbains de petite couronne ». Pas de traces de chrome VI se félicite la préfectureet une __«_ pollution faible » dans les gazs de sol.Elle prend note des recommandations d’investigations supplémentaires mais considère qu’elles ne relèvent pas de la responsabilité de l’Etat : __« Les mesures disponibles montrent que les mesures d’air ambiant dans les écoles et dans l’habitation investiguée sont bonnes. Il n’y a donc pas de pollution connue et avérée et de surcroît pas de danger grave pour la santé et l’environnement qui justifierait une intervention de l’Etat. »_ Considérant que les études réalisées ont conclu à l’absence de risques pour la santé des écoliers, des riverains et des salariés, la préfecture a annoncé ce 23 janvier :  « l’Etat n’engagera par conséquent plus d’etude sur ce site ».

Est-ce à dire que la suite des recherches diagnostic doit reposer sur les citoyens concernés ? « L’étude de Burgead confirme la pollution et émet des réserves sur les différentes études menées sur la Snem jusqu’à présent dans sa synthèse documentaire, poursuit Christine Bombal. Et ça n’est pas un débat d’experts : en matière de diagnostic environnemental, la méthodologie est fondamentale puisqu’elle fait varier les résultats. Surtout, elle préconise la poursuite d’études dans une zone élargie autour de l’usine, notamment sur la parcelle qui s’étend à l’Est vers les établissements scolaires. »

Trois types de polluants dans les prélèvements

Pour l’heure, les prélèvements effectués par Burgeap sur les parcelles ciblées par le collectif relèvent la présence de trois types de polluants :

• « Les métaux dans les sols superficiels (remblais) : les teneurs en métaux mesurées sont cependant celles fréquemment rencontrées dans les remblais en région parisienne et ne témoignent pas d’un impact particulier de la SNEM dans les prélèvements effectués dans le cadre de notre étude », résument les experts de Burgead.

• « Des hydrocarbures (dont les BTEX) : les teneurs anomaliques de ces polluants sont retrouvées dans les remblais superficiel au niveau des parcelles situées au sud de l’usine, l’origine de ces polluants peut être multiple dans la zone de l’étude qui a abrité par le passé nombre de petits garages (pas tous bien localisés) et il semble donc difficile d’établir le lien avec la SNEM au regard des données dont nous disposons. »

• « Des solvants chlorés (trichloroéthylène et perchloroéthylène) : ces polluants ne sont retrouvés qu’au droit de la parcelle à l’est de la SNEM (dans les gaz des sols et air ambiant de la cave) ; ces mêmes polluants impactent le milieu souterrain et les données historiques disponibles ne montrent pas que des solvants chlorés ont été utilisés sur cette parcelle à l’Est de la SNEM (ancien café, aujourd’hui aménagé en habitation), ce qui tend à faire le lien entre ce qui est retrouvé au droit de l’usine à l’Est de l’usine. Les teneurs en solvants chlorées retrouvées dans les gaz des sols sous la parcelle à l’Est de l’usine sont cependant très largement inférieures (de plus de deux voire trois ordres de grandeur au moins) à celles mesurées par DEKRA au droit du site SNEM mais témoignent quand même d’une dégradation de la qualité du milieu souterrain. Enfin, les teneurs mesurées dans la cave (air ambiant) sont inférieures aux valeurs guide existantes (valeurs fournies par le haut comité de santé publique, l’ANSES ou l’OMS). Elles ne sont pas alarmantes mais méritent d’être à nouveau contrôlées. »

Le combat des habitants

Les observations de Burgeap inquiètent Christine Bombal : « La maison la plus touchée est la nôtre. Si les relevés effectués dans la cave ne réclament pas de quitter les lieux d’urgence, nous avons décidé, indépendamment du collectif cette fois, de demander des diagnostics supplémentaires sur l’air intérieur en posant notamment des capteurs dans les chambres des enfants, et sur l’eau courante, les tuyaux passant dans les sols pouvant avoir été contaminés. »

Paradoxalement, cette étude la rassure aussi : « Elle confirme que nous, parents d’élèves, habitants et usagers ne sommes pas des hystériques, comme on a pu l’entendre, mais des gens sérieux, légitimes à demander des informations complètes aux pouvoirs publics sur ce que nous avons sous les pieds. »

Un diagnostic sur la pollution du sol commandé par des particuliers, c’est plutôt « rare » mesurent les experts de Burgeap dont les clients sont « plus habituellement les industriels, les collectivités, les institutionnels, les aménageurs ou les promoteurs ». En conclusion de son étude, Burgeap préconise des investigations complémentaires : « Celles-ci s’inscrivent totalement dans le cadre méthodologique de la démarche de gestion des sites et sols pollués telle que la définit le ministère de l’environnement (circulaires d’avril 2017, qui insistent sur le caractère itératif de la démarche) et sont aussi le fait du caractère incomplet de ce premier diagnostic qui visait à faire un « premier échantillonnage » pour évaluer les éventuels impacts en dehors de l’emprise de la SNEM », précisent ses experts en ajoutant que ces préconisations « relèvent du rôle de conseil qu’un bureau d’études doit à ses clients » ainsi que de sa volonté « d’œuvrer à la préservation de l’environnement ».

De la crise de confiance aux tribunaux

« J’ai été très touchée par le combat de ces habitants lorsque que je les ai rencontrés lors de la Marche des cobayes »,_ témoigne Michèle Rivasi, députée européenne EELV. Ce qui a motivé le soutien financier des Verts à leur démarche. Quand elle a accompagné le collectif au ministère de la Transition écologique « du temps de Nicolas Hulot », Michèle Rivasi a été « outrée » d’entendre son cabinet lui répondre : « Si vous voulez avoir accès aux résultats des études, il faut saisir la justice ». « C’est quand même fou d’imaginer qu’aujourd’hui, les services publics, mairie et préfecture ne répondent pas aux attentes des citoyens et que ceux-ci doivent financer eux-mêmes des études indépendantes et se porter devant les tribunaux pour obtenir des informations sur leur environnement et l’impact sanitaire d’activités industrielles voisines… »

De quoi, selon la députée, renforcer la crise de confiance que de précédents scandales sanitaires, Mediator ou « enfants sans bras », ont générée. Mais elle compte aller plus loin en réclamant auprès de l‘Echa (European chemical agency), des informations sur le respect, et les dérogations, à la réglementation européenne Reach sur les produits chimiques.

L’usine verte est un cas d’école. Devant le manque d’action des pouvoirs publics, les parents d’élèves, habitants et usagers du quartier des Messiers se sont saisis du dossier qu’ils portent en justice avec le conseil du cabinet Lafforgue, spécialisé en questions environnementales. Le premier objectif était la fermeture de l’usine avec requalification de ses salariés. Le deuxième est désormais la dépollution du site, avec information transparente. Le troisième pourrait être des dommages pour les frais engagés par des habitants qui ont parfois contracté des emprunts pour acheter des biens désormais dévalorisés par l’affaire de pollution et qui redoutent les conséquences pour leur santé.

Écologie
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