Vaste campagne contre l’impunité des multinationales
Cent cinquante ONG, syndicats et associations s’associent pour demander la fin des « tribunaux arbitraux » qui protègent les multinationales. Elles espèrent imposer le « devoir de vigilance » comme une nouvelle norme.
Un an de mobilisation, 43 organisations en France et plus de 150 dans 16 pays européens. La campagne « Stop l’impunité » entend s’installer dans le paysage pour maintenir la pression, contre les largesses juridiques dont profitent les multinationales. Mécanisme peu connu, mais néanmoins implanté dans la plupart des traités sur le commerce dans le monde, les « tribunaux arbitraux » constituent un obstacle majeur, depuis une vingtaine d’années, à l’adoption de lois protégeant l’environnement et les droits humains. Les entreprises peuvent en effet saisir des « arbitres », souvent avocats d’affaires, pour forcer les États à payer de lourdes compensations lorsqu’une loi nouvelle empiète sur leurs bénéfices futurs.
La coalition d’organisations croit en sa capacité à porter le coup de grâce à ce système opaque et particulièrement déséquilibré. « Nous sommes à un tournant », estime Mathilde Dupré, de l’Institut Veblen :
Le projet de l’UE était d’étendre ce type de dispositif de manière considérable avec les accords en cours de négociation tout azimut. Mais dans le même temps, il y a des signaux forts qui montrent une inflexion sans précédent.
Les États-Unis et le Canada viennent de supprimer le tribunal arbitral de l’accord de libre-échange signé en 1994 et 22 États européens ont signé le 15 janvier une déclaration demandant la révocation de ces mécanismes au sein de l’Union européenne, pour tenir compte d’une décision de la cour de justice de l’UE. Un vent de rejet souffle donc contre ce _« système de justice parallèle » qui « confère aux entreprises multinationales des droits exorbitants », estime la coalition d’ONG.
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La démarche se veut aussi offensive, insiste le panel d’organisations présentes ce mardi matin au siège du CCFD-Terre solidaire pour la conférence de presse de lancement de l’opération. Il s’agit d’approfondir et de généraliser un mouvement entamé en France il y a deux ans, pour la reconnaissance juridique de la responsabilité des multinationales. Le « devoir de vigilance » inscrit dans le droit français en 2017 va pouvoir être « testé » en 2019, se félicite les ONG, qui espèrent faire prononcer des premières sanctions contre des multinationales qui piétinent les droits humains ou détruisent l’environnement.
La campagne « Stop l’impunité » vise un « effet d’entraînement international » qui généraliserait ce type de loi, avec une directive européenne et l’adoption à l’ONU d’un traité véritablement contraignant pour les multinationales.
Partant de cette double ambition, la coalition rythmera l’année 2019 par des actions symboliques et une campagne de lobbying, en s’appuyant sur une pétition qui doit symboliser le front citoyen. Pétition lancée ce mardi à minuit et qui totalise déjà 19 000 signatures.
Dix jours d’action sont notamment prévus autour du 24 avril, jour anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza, immeuble délabré où plusieurs marques confectionnaient leurs vêtements (Mango, Benetton, Primark, Carrefour, Auchan, Camaïeu, etc.). La catastrophe aura coûté la vie à 1 127 personnes et porté une lumière tragique sur l’irresponsabilité des multinationales.
D’autres étapes cruciales sont attendues sur le dossier des tribunaux arbitraux. La Cour de justice de l’UE doit se prononcer sur la conformité avec le droit européen du dispositif inclus dans le Ceta signé avec le Canada. Son avocat général doit rendre ses conclusions le 29 janvier. Trois semaines plus tard, le parlement européen doit voter l’accord UE-Singapour, un des nombreux accords de libre-échange en cours de négociation par l’Union européenne. Le Parlement français doit également voter dans les prochains mois la ratification du volet « tribunal arbitral » du Ceta, l’accord de libre-échange avec le Canada.
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L’ONU accueille également en avril les négociations pour un projet de « cour multilatérale d’investissement », qui établirait une justice d’exception, à l’échelle planétaire, pour les multinationales. Le principal point d’inquiétude des organisations mobilisées.
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