Fonction publique : « Ils vont y aller à la hache »

Le gouvernement n’a pas infléchi son projet de réforme du management dans la fonction publique, qui prépare le terrain à une grande cure d’amaigrissement des services publics.

Erwan Manac'h  • 20 février 2019 abonné·es
Fonction publique : « Ils vont y aller à la hache »
© photo : À Creil, dans l’Oise, la maternité de niveau 3 a été transférée à 12 km. crédit : Philippe HUGUEN/AFP

Derniers ajustements, avant les grands travaux. Les règles de management pour les 5,7 millions de fonctionnaires vont être profondément revues, par l’intermédiaire du projet de loi de « transformation de la fonction publique » présenté le 13 février par le gouvernement. Le texte reprend les grandes lignes des ordonnances travail, qui ont remodelé en 2017 le code du travail dans le secteur privé : « flexibilité », « agilité du dialogue social » et « vélocité » dans le changement de modèle.

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Cela passe par un affaiblissement des syndicats, avec la fusion des instances représentatives des agents (CT et CHSCT) au sein d’un « comité social d’administration » (CSA). Les représentants du personnel n’auront plus leur mot à dire au préalable sur les projets de mutation, de mobilité ou de réorganisation, comme c’est actuellement le cas. Pour donner plus de « leviers » aux managers, administration par administration, le gouvernement s’autorise également à réécrire, par ordonnances, les règles des négociations à l’échelle locale, et à faire en sorte que ces accords priment sur les règles nationales. Ce dynamitage du jeu syndical vise à préparer une profonde réforme de la fonction publique, qui conduira de gré ou de force au reclassement de dizaines de milliers de fonctionnaires dont la mission sera supprimée ou externalisée.

Les agents sont invités à bouger, moyennant une prime de déménagement, dont le plafond actuel de 15 000 euros devrait doubler, selon une source ministérielle. Ils devront se montrer mobiles également d’un ministère à l’autre, en passant au besoin par un congé de formation d’un an sans perte de salaire. Et ceux qui seront contraints de quitter les ministères riches (comme l’Économie et les Finances) vers des administrations où les salaires sont plus bas garderont leur salaire pendant six ans. Tous, en tout cas, auront la porte de sortie grande ouverte, avec un chèque de départ dont un décret devra fixer le montant et un dispositif de « rupture conventionnelle » identique au privé. Fini, donc, le non-remplacement « aveugle » des départs à la retraite qui a désorganisé la fonction publique, déjà à l’os, depuis la RGPP lancée par Nicolas Sarkozy. L’heure est aux coupes sèches de services, pour atteindre l’objectif considérable de 120 000 postes de fonctionnaires en moins à la fin du quinquennat. « 2019 est la dernière année “classique”, où ils suppriment des emplois un peu partout. À partir de 2020, ils vont y aller à la hache, prévient Vincent Drezet, de Solidaires Finances. Avec des missions et des pans entiers de l’administration sacrifiés. »

Le mouvement a déjà commencé dans les services régionaux du ministère du Travail (Direccte) : les pôles dits des 3E (entreprises, emploi et économie), qui conseillent les entreprises, ont perdu cette année les trois quarts de leurs agents (1). « On a mis plus de 300 personnes sur le carreau, sans aucune visibilité sur leur reconversion. Les agents sont placés sur une bourse d’emploi des ministères financiers et économiques qui doivent proposer des postes similaires. Mais nous attendons toujours les décrets qui doivent fixer les nouveaux montants des mesures d’accompagnement », rapporte Jean-Jacques Huet, de Solidaires Industrie et développement durable. Le syndicat dénonçait fin janvier les « tensions insoutenables » dans les pôles 3E, qui servent, selon lui, de « laboratoires » pour les mouvements futurs qui toucheront beaucoup de services départementaux des ministères (cohésion sociale, protection des populations, etc.), appelés à fusionner pour faire naître des services interministériels, ou à passer sous la coupe des préfets. « Cela permet de mutualiser les locaux, le personnel, etc., et de créer un guichet unique, avec un seul interlocuteur. Mais on perd de la spécificité et de la technicité. Le service rendu se dégrade », s’inquiète Loïc Abrassart, de SUD Travail.

Le gouvernement espère aussi faire des économies en supprimant, sous trois ans, tous les régimes dérogatoires qui permettaient à des agents de travailler moins que 35 heures hebdomadaires. En faisant travailler davantage les agents, le ministère espère supprimer jusqu’à 35 000 postes. Le texte favorise également le recrutement de contractuels, qui tend à se généraliser depuis plusieurs années et concerne déjà un quart des agents. Ce mouvement doit s’accroître avec la création d’un contrat de projet, qui s’achève après exécution d’une mission pour une durée maximale de six ans. Il se généralisera également aux « postes à hautes responsabilités » pour accompagner « la transformation de l’action publique », peut-on lire dans l’exposé des motifs de la loi. Il n’est plus, sur ce volet, question d’économies. Car le recrutement d’un contractuel est souvent plus coûteux qu’un poste de fonctionnaire, sans parler du recours aux intérimaires qui fait déraper les finances et désorganise bien des services, notamment dans les hôpitaux. Mais le gouvernement veut donner aux administrations la « souplesse » des entreprises privées.

Il a décidé en revanche d’écarter, temporairement, la question hautement sensible de la rémunération au mérite, qui sous-tend celle du pouvoir d’achat des fonctionnaires, dont le point d’indice du salaire est de nouveau gelé en 2019 (2). Il prépare néanmoins le terrain en généralisant les entretiens individuels, qui devront servir de base aux évolutions de carrière, en particulier dans la fonction publique hospitalière, où le mérite n’est pas quantifiable.

Les syndicats n’ont pas été surpris par ce texte dont les grandes lignes sont connues depuis la campagne présidentielle. Ils sont néanmoins consternés. Sept des neuf fédérations de fonctionnaires ont claqué la porte du conseil commun où la réforme leur était présentée, en demandant le retrait pur et simple de la loi. « Les mesures annoncées sont perçues comme une provocation par les agents des trois versants de la fonction publique », fustige Force ouvrière. « Depuis la Seconde Guerre mondiale, aucun projet concernant la fonction publique n’avait été aussi brutal et régressif », abonde Solidaires Finances publiques. La CGT Services publics en appelle à « une lutte puissante et déterminée, [seule à même de] faire reculer ce travail de sape de l’État social que LREM accélère dangereusement ». Une première journée d’action est convoquée le 19 mars par la CGT, FO, Solidaires et les organisations de jeunesse.

De son côté, le gouvernement reste déterminé à aller vite. La concertation des instances paritaires propres à la fonction publique (3 conseils supérieurs, conseil commun) ont été lancées au pas de charge, pour une présentation du texte de loi en conseil des ministres le 27 mars et un vote du texte, en procédure accélérée, avant la trêve estivale. Le texte pourra également évoluer au cours des discussions, par amendement, suivant la méthode désormais privilégiée par le gouvernement pour gagner du temps.

Le projet de loi pourrait donc électriser un peu plus l’atmosphère jusqu’à l’été. Mais la consternation des agents semble mêlée d’un profond fatalisme, face à une tendance de fond à l’œuvre depuis des années. « Les gens sont lassés, fatigués et mal informés », souffle un agent hospitalier, qui s’inquiète de « l’augmentation des burn out et de l’absentéisme, qui sont les signes d’un mal-être et d’une souffrance ». Les difficultés des agents, localement, semblent minimisées, « comme si nous traversions une zone de turbulence et que tout cela était normal », témoigne une employée de collectivité qui, en ces temps troubles, voit fleurir les séminaires sur la « transition managériale » et le « développement soutenable de la performance »

(1) 417 postes supprimés.

(2) Après sept ans sans revalorisation de 2010 à 2017.

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