Investissement solidaire et transition écologique
Il ne suffit plus d’aider les populations vulnérables au Sud, il faut les accompagner dans la lutte contre le changement climatique.
Partout, la question de la transition écologique et sociale (TES) se pose, et il ne suffit pas de décréter des hausses de prix visant à changer les modes de consommation pour la traiter. Vu du Sud, après l’inclusion socio-financière, la TES est-elle un nouvel effet de mode du Nord, enfin préoccupé par les questions environnementales alors qu’il est la principale cause des bouleversements climatiques mettant à mal notre planète ? La Sidi (1), à la fois investisseur solidaire dans 35 pays du Sud et prêteur et accompagnateur d’initiatives d’inclusion socio-économiques auprès d’une centaine d’acteurs de l’ESS, a fait de la TES une priorité stratégique, ayant constaté que cette question s’imposait de plus en plus dans l’agenda de la finance solidaire.
Aborder un tel enjeu aujourd’hui implique beaucoup d’humilité et d’écoute. De fait, les populations rurales ou vulnérables qui sont les cibles ou les bénéficiaires de l’action des acteurs de l’ESS sont souvent les plus affectées par le changement climatique, avec un impact social fort. Dans le Sahel, on entend souvent : « On n’a pas de grandes connaissances, mais on subit les effets du changement climatique. » La vision de la TES n’est peut-être pas explicite, mais le message est clair : « On ne peut plus se contenter de faire ce que l’on a fait jusqu’à maintenant, sinon on va dans le mur ! » Les dialogues locaux et des liens entre les communautés et leur environnement s’établissent, en abordant les questions qui se posent de manière intégrale, systémique. Les besoins ne portent plus seulement sur le financement en fonds de roulement d’activités cycliques, notamment agricoles, mais aussi sur la consommation, la production, le vivre-ensemble : l’enjeu économique est ainsi repensé dans son interaction avec d’autres, comme l’environnemental et le social.
Faisant preuve d’innovation et d’inventivité, les acteurs de la finance sociale et solidaire du Sud expérimentent de nouveaux services : des produits financiers avec conditions et taux préférentiels, favorisant l’émergence d’une activité économique durable pour la planète et ses habitants, pour l’acquisition de lampes ou de pompes solaires, ou encore des propositions d’adaptation au changement climatique pour l’agriculture familiale. Les défis sont bien entendu nombreux et importants. Comme la place des femmes : comment les actrices de l’ESS, qui gagnent en visibilité, en pouvoir, en responsabilité dans la famille et dans la communauté, sortent-elles du seul rôle domestique qui leur est assigné ?
L’éducation est également un enjeu majeur. À propos des problématiques liées à la TES, on entend dire : « Il faut relever le défi de convaincre », « c’est un travail d’éducation », « on sensibilise le producteur », « les agriculteurs ne veulent plus continuer à faire la même chose ». Se pose alors la question : « Comment rendre l’éducation financière plus ambitieuse en l’élargissant à l’environnement ? »
La TES demande du temps, donc de l’argent, et implique un débat sur son financement. On l’envisage sur le moyen terme, alors que les populations attendent de meilleures conditions d’existence à court terme. Mais, si le producteur n’évolue pas maintenant, il ne s’en sortira pas à l’avenir. Il faut donc des moyens, comme la subvention complémentaire à l’investissement à long terme, ou consacrer une partie de la marge de l’institution financière au bien commun et interpeller l’État, car c’est son rôle d’accompagner cette transition. La durabilité de la planète est liée à celle des institutions qui gèrent le risque : si le producteur acquiert les connaissances lui permettant de s’adapter aux changements climatiques, le risque diminue pour l’institution financière. C’est du gagnant/gagnant.
Cette mission fait appel à des compétences ou des métiers, avec la création d’alliances pour de l’assistance technique ou la réappropriation de l’expertise ancestrale qui a permis à des communautés de bien vivre avec leur environnement. Ainsi, les organisations partenaires de la Sidi appellent à la concrétisation de ce triangle vertueux : service financier, assistance technique (recherche) et subvention de l’assistance technique. Comment passer d’instruments qui « aident » à des instruments qui « transforment » ?
(1) www.sidi.fr
Dominique Lesaffre est directeur général de Solidarité internationale pour le développement et l’investissement (Sidi).
Jean-Baptiste Cousin est directeur du partenariat international CCFD-Terre solidaire, gérant de la Sidi.