La fin du PS faute d’électeurs
Le quinquennat Hollande n’aura été que l’épilogue d’une longue chute. Idéologie dominante à gauche au XXe siècle, le socialisme ne représente plus les classes populaires.
dans l’hebdo N° 1542 Acheter ce numéro
L a position sociale-démocrate, ce n’est pas d’être arc-bouté pour défendre des choses dont je sais qu’elles vont disparaître. » La phrase est de Jean-Marc Ayrault. Dans L’Adieu à Solférino (1), l’ancien Premier ministre de François Hollande se souvient des négociations entre son gouvernement, l’Élysée et Lakshmi Mittal pour sauvegarder l’activité des aciéries de Florange, en 2012. Un échec. Sept années plus tard, ce documentaire raconte les grandes heures – et erreurs – du PS, arrivé au pouvoir en 2012 avec 51,6 % des voix au second tour de l’élection présidentielle et violemment rejeté par les électeurs cinq plus tard, dépassant péniblement les 6 %.
Chez les socialistes, on s’« arc-boute » pourtant pour défendre la social-démocratie, une vision politique dont ils ont longtemps été l’incarnation… Au fil des ans, les rangs de ses défenseurs se sont clairsemés. Même Benoît Hamon, ex-socialiste et désormais à la tête de Génération·s, estimait en novembre : « Le cycle de la social-démocratie s’achève en Europe (2). »
« Les élections européennes vont être l’occasion de mettre [les sociaux-démocrates] face à la réalité : la gauche, électoralement du moins, n’existe plus », estime Willy Pelletier. Selon le sociologue et coordinateur général de la Fondation Copernic, l’acte de décès de la social-démocratie à la française est à dresser bien avant 2017 : « Après le tournant de la rigueur de Mitterrand en 1983, les sociaux-démocrates se sont mués en sociaux-libéraux. » Les théories sur l’économie de marché, la liberté d’entreprendre et la limitation du rôle de l’État ont depuis pris le pas sur le volet « social ». Politiques austéritaires, réduction de la dépense publique, sape des droits des salariés, amputation des services publics… Il y a longtemps que la stratégie consistant à ménager la chèvre (le capital) et le chou (les salariés) via la concertation a échoué. Et belle lurette que le chou a été mangé. Le « pacte de responsabilité » de François Hollande et les lois Macron et El Khomri en sont un exemple. « La social-démocratie aujourd’hui, c’est la compression des revenus, des droits, une politique de chômage et de privatisation », résume Willy Pelletier. « Les mesures prises l’étaient sans contrepartie. La loi travail a amené au déclin du rapport salarial, elle a inversé la hiérarchie des normes et finalement affaibli le salariat, renchérit Fabien Escalona, docteur en science politique et journaliste à Mediapart. La social-démocratie, qui se caractérisait par une grande capacité d’adaptation et de transformation, est arrivée à l’épuisement. »
Ces cuisantes défaites dans les urnes et l’incapacité de se renouveler une fois dans l’opposition s’expliquent par un glissement de l’électorat des sociaux-démocrates vers le libéralisme. Auparavant issu des rangs des salariés et des classes populaires, il est aujourd’hui composé de cadres. « L’idéologie et certaines valeurs de la social-démocratie peuvent se retrouver chez les électeurs d’Emmanuel Macron », explique Nicolas Leron, chercheur au Cevipof, collaborateur du député LREM Didier Baichère et coauteur de La Double Démocratie (3). À bien des égards, le président de la République récolte les fruits des concessions libérales du PS. Le besoin de contreparties se retrouve, explique le chercheur, dans le sens inverse, quand il s’agit de demander aux bénéficiaires des aides sociales de s’en justifier, comme le souhaitait le Premier ministre, Édouard Philippe, devant des patrons de PME le 15 février.
Pour autant, les membres de la majorité parlementaire ne sont pas tous à l’image de leur gouvernement et certains l’ont fait savoir : Sébastien Nadot a été exclu du groupe LREM à la suite de son refus de voter le budget 2019, Sonia Krimi l’a quitté, et même la vice-présidente de la commission des finances, Émilie Cariou, conseillait dimanche à la ministre Jacqueline Gourault d’aller « chercher l’impôt sur les multinationales qui s’en exonèrent et non sur les revenus les plus faibles ».
Mais, au-delà des classes moyennes et moyennement aisées – acquises à la Macronie –, ce sont les classes populaires qui ne se sentent plus représentées par les sociaux-démocrates. « Il y a tout de même 45 % des Français qui sont des ouvriers ou des employés », rappelle Willy Pelletier. Et ces derniers, quand ils votent encore, ne glissent pas un bulletin socialiste dans l’urne. « Ces corps politiques sont des insultes aux milieux populaires, estime le sociologue. Le Parti socialiste est une institution politique endogame, dont les membres sont souvent des héritiers d’un capital économique et/ou culturel qui ne font carrière qu’en politique. » Les corps intermédiaires, autrefois soutiens de ces partis, ne leur sont plus d’aucune aide, décimés par des réformes libérales. Pas plus que les militants, désormais comptabilisés en clics sur les sites Internet des uns et des autres.
« Traîtres » aux classes populaires et à la gauche, les sociaux-démocrates sont aussi victimes de leur obsolescence face aux évolutions mondiales. « La promesse des sociaux-démocrates n’est plus tenable dans un monde aux ressources finies », constate David Cormand, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts. « Le fordisme, qu’on pourrait citer en exemple, a permis l’émancipation des travailleurs pauvres dans les pays développés, mais pas ailleurs », rappelle-t-il. C’est aussi l’idéal d’un juste équilibre entre patrons et salariés qui s’effrite. La social-démocratie ne peut-elle fonctionner qu’avec d’importants taux de croissance et le plein-emploi ? Aujourd’hui, la croissance française atteint péniblement 1,5 % du PIB et le taux de chômage s’élève à 9,1 %. Et même dans ces circonstances, le revenu universel prôné par Benoît Hamon ne convainc pas. Car renoncer à la valeur travail reviendrait à remettre en cause l’un des fondements de la social-démocratie : la défense des travailleurs. « Cela peut être perçu comme une façon de baisser les bras », prévient Fabien Escalona.
Certains cadors du PS tentent pourtant de réhabiliter la vieille idéologie en l’érigeant en rempart contre les extrémismes : libéraux, extrême droite et même la gauche radicale. Sur France Inter, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve s’essayait récemment à l’exercice : « Dès lors que le gouvernement est de droite, qu’il y a un pôle assez significatif d’extrême droite qui se constitue, et qu’il y a à l’extrême gauche une organisation qui stérilise tout, je me dis qu’il ne serait quand même pas mauvais pour la démocratie qu’il y ait une force de gauche qui se constitue », prêchait-il. « Le PS est comme Bruce Willis dans Sixième Sens _: il est mort, mais il ne le sait pas »,_ plaisante David Cormand. Mieux vaut en rire…
(1) L’Adieu à Solférino, de Grégoire Biseau et Cyril Leuthy, à voir sur www.publicsenat.fr
(2) Dans une interview à BFM TV.
(3) La Double Démocratie, Nicolas Leron et Michel Aglietta, Seuil, 2017.