La génération Greta exige un futur

La « grève de l’école pour le climat » décolle en France. Des milliers de jeunes ont défilé vendredi dernier à Paris avec la jeune Suédoise Greta Thunberg, initiatrice de ce mouvement mondial.

Patrick Piro  • 27 février 2019 abonnés
La génération Greta exige un futur
© photo : Le 22 février, à Paris, la marche a drainé 5 000 jeunes, cinq fois plus que la semaine précédente.crédit : Hervé Bossy

Pablo s’avance vers le micro que lui tient une des animatrices de la soirée, sous les boiseries de la Bourse du travail de Paris. « Quand les jeunes se mobilisent, ça incite les plus âgés à le faire aussi. Le travail des adultes, c’est de préparer notre avenir. » Il lit la phrase unique de la pétition qu’il a rédigée à la main. « Pourquoi détruire la nature si on sait que si on le fait, ça va nous détruire aussi !!! » Puis il passe consciencieusement dans les travées de la salle Ambroise-Croizat pour recueillir des signatures. Pablo a 8 ans, élève à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Berem, 11 ans, a tenté d’entraîner le collège Victor-Hugo (Paris IIIe) dans la « grève de l’école pour le climat », le 21 décembre. Il avait entendu l’appel lancé par la jeune Suédoise Greta Thunberg au début du mois, lors de la COP 24 à Katowice (Pologne), à la pratiquer tous les vendredis, car à quoi bon étudier pour son avenir si l’on ne s’occupe pas sérieusement du dérèglement climatique qui pèse inéluctablement dessus ? « J’étais un peu seul, regrette Berem, mais ce n’est qu’un début… »

Ce 22 février au soir, ils sont 250 à faire le point sur la marche qui a drainé un peu plus tôt près de 5 000 collégiens, lycéens et étudiants dans Paris, cinq fois plus que la semaine précédente. « Papa, maman, désolé je sèche… comme la planète. » Soleil radieux, manches courtes : « 22 février ? 17 °C », accuse l’un des slogans brandis sur des centaines de panneaux en carton (« on recycle ») entre Opéra et République. « Ta planète, tu la préfères bleue ou bien cuite ? » On ne se contente pas de broder sur la crise climatique : à la pointe des messages, la dénonciation d’inconséquence des décideurs envers les générations futures – « En 2050, vous serez morts, pas nous », « Quand je serai grand, je voudrai être vivant ».

La charismatique Indienne Vandana Shiva est là, tonitruante figure des luttes planétaires pour la justice climatique, mais le micro est destiné à sa voisine, une gamine à nattes. « Nous les enfants, nous ne devrions pas avoir à nous occuper de ça. Je voudrais que les adultes prennent leurs responsabilités. Mais comme personne ne fait rien, il faut qu’on s’en charge. » C’est Greta Thunberg. Elle consacre ses vacances à soutenir les mobilisations européennes. La veille, la rébellion scolaire a été suivie en Belgique par 15 000 participants, enflammés par la détermination de trois lycéennes, Kyra Gantois, Anuna De Wever et Adelaïde Charlier, venues elles aussi entraîner les jeunes sur le pavé parisien. Aux questions d’adultes, elles retournent des réponses cinglantes. Faites-vous le lien entre les questions climatiques et sociales ? « C’est évident. Quel sera l’état de la société avec quatre degrés de plus en 2050 ? », intervient Adelaïde. Stratégie ? Objectifs ? « Que les politiques travaillent avec les experts et les scientifiques qui proposent des solutions depuis longtemps. » Luisa, venue d’Allemagne, renchérit : « On nous dit : “Que la Chine ou les États-Unis s’y mettent d’abord, etc.” On s’en fout ! Nous serons des multitudes dans le monde, et les politiques ne pourront plus nous ignorer. »

Militant EELV chevronné du haut de ses 38 ans, Julien Bayou voit dans cette éclosion « une expression très politique, dans la lignée des événements qui s’enchaînent depuis la canicule estivale – démission de Hulot, marches climatiques, plus de deux millions de signatures pour la pétition de “l’Affaire du siècle”… »

Plusieurs personnalités témoignent de leur « émotion » face à ce mouvement qui ouvre de nouvelles perspectives. Si la maire de Paris, Anne Hidalgo, se glisse quelques minutes au premier rang de la marche, les quelques politiques présents, principalement écologistes, restent discrets. Jacques Boutault, maire EELV du IIe arrondissement de Paris, 58 ans, espère que « les jeunes feront mieux que nous, de toute façon ils n’ont pas le choix… » Yannick Jadot, tête de la liste EELV pour les élections européennes, les voit capables d’« imposer le climat comme sujet majeur du scrutin ». En Belgique, leur mobilisation est en train de prendre possession de la campagne pour les élections du 26 mai (européennes mais aussi fédérales et régionales). La ministre flamande de l’Environnement, Joke Schauvliege, a dû démissionner après avoir insinué que les jeunes étaient au service d’un complot politique.

« Le retournement viendra de la jeunesse, qui montre qu’elle veut prendre son avenir en main sans se laisser bercer de vains mots », estime l’actrice Juliette Binoche, écologiste. Pour Cyril Dion, réalisateur de l’emblématique film Demain, ce mouvement fait naître un rapport de force. « Tout l’enjeu consiste à l’accentuer sans tenter de le récupérer, car il ne veut pas des politiques. » Anuna De Wever confirme ce rejet. « On revient toujours très déçues de nos rencontres avec eux. Ils parlent beaucoup, mais n’ont aucun plan pour le futur. Ils se comportent comme des petits enfants. » Aura-t-elle changé d’avis cette fois-ci ? « Je peux le faire, mais aidez-moi », leur a transmis Emmanuel Macron, qui a brièvement reçu, à la demande de Greta Thunberg, une délégation des cinq principales animatrices étrangères de la marche.

« C’est une journée historique », salue Romaric, coordinateur national en France de Youth4Climate, mouvance née à la suite des appels de Greta Thunberg. Les nouvelles d’Europe, d’Australie et des États-Unis (principalement) font état de rassemblements ayant regroupé au total plusieurs dizaines de milliers de jeunes. Ce soir-là, à la Bourse du travail, s’élabore la suite : la montée vers le 15 mars, rendez-vous pris pour une « grève internationale de l’école » la plus massive possible. En France, Youth4Climate est aux premiers postes, soutenue par une large frange d’organisations lycéennes et étudiantes (1), Attac, plusieurs organisations écologistes (Greenpeace, 350.org, L214, etc.), entre autres. Les Scouts et guides de France, très visibles dans la marche, s’expliquent : « Notre projet pédagogique, c’est une planète habitable. » Plusieurs groupes étudiants annoncent se mettre en branle pour faire connaître l’appel dans leurs milieux. Une assemblée générale « interfacs », qui se tient toutes les semaines, a voté la grève pour ce jour-là. Le syndicat Solidaires a également déposé un préavis pour tous les salariés (public et privé), ainsi que pour le lendemain, le 16 mars, annoncé comme journée de convergence entre les batailles climatiques et sociales.

Et le rendez-vous fait tache d’huile. Plus de 300 scientifiques et universitaires de diverses disciplines, belges, français et suisses (dont plusieurs de réputation internationale) ont publiée une tribune très engagée sur le site du quotidien belge Le Soir (20 février). « Nous avons alerté mille fois l’opinion publique et les citoyens. Nous avons nourri le débat public, ouvert la science à l’expertise citoyenne. Nous avons tout essayé. […] C’est pourquoi nous rompons avec le devoir de réserve que nous nous sommes si souvent imposés. Nous soutenons et rejoignons les enseignants comme les chercheurs, femmes et hommes, qui s’engagent à des titres divers auprès de la jeunesse. Nous ferons nous aussi la grève scolaire pour le climat le 15 mars. »

Dans la salle Ambroise-Croizat, Isidore, 11 ans, demande « si les collégiens ont le droit de la faire ». Non, il faut donc « sécher » ou bien avoir été « libéré » par ses professeurs. Ce qui risque d’être fréquemment le cas : les syndicats SUD-Éducation ainsi que les branches FSU de l’enseignement supérieur appellent les personnels à soutenir cette action. Justine Renard, cofondatrice du récent mouvement Enseignants pour la planète, annonce que le texte de mobilisation qu’il a lancé pour le 15 mars a déjà recueilli 4 200 signatures (lire ici). _« Et nous invitons à une articulation entre professeurs, élèves et parents. » C’est en cours : la fédération nationale de parents d’élèves FCPE soutient. Une maman se lève : « Et au besoin, je ferai un mot d’excuse à ma fille, qui sera “malade du climat” ce jour-là. »

(1) Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), Union nationale lycéenne (UNL), Union nationale lycéenne syndicale et démocratique (UNL-SD), Union nationale des étudiants de France (Unef).

Écologie
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