Le défi des Scic : ainsi va l’innovation
Ces coopératives d’intérêt collectif, à la gouvernance démocratique, maillent le territoire dans tous les domaines.
Le Groupement régional pour une alimentation de proximité (Grap), en région lyonnaise, a pour ambition la structuration de la filière alimentaire biologique, le soutien à l’agriculture paysanne et le développement des circuits courts. C’est à la fois une coopérative d’activité et d’emploi (16 activités collectives, « intégrées » sans personnalité morale) et un groupe coopératif de 21 structures « associées », grâce à un jeu de participations croisées entre elles et le Groupement : épiceries, bars, restaurants, traiteurs, boulangeries, chocolateries, « super-halle ». Au total, 91 personnes et un chiffre d’affaires consolidé de 8,5 millions d’euros.
Dans la Meuse, la Société pour un avenir énergétique commun (Savécom) offre un service complet de rénovation thermique des maisons modestes anciennes : du diagnostic à la garantie contractuelle de réduction nette (après remboursement des emprunts) des charges de chauffage en passant par le montage du plan de financement (mobilisation des aides publiques et prêt bancaire), la définition du cahier des charges des travaux, la maîtrise d’œuvre et l’évaluation des performances.
En Bretagne, En Jeux d’enfance regroupe 13 équipements d’accueil collectif et individuel, 360 berceaux, 180 salariés et 3 relais parents-assistantes maternelles, présents dans 43 communes et auprès de 19 employeurs réservataires.
Trois entreprises bien différentes : l’une créée par des militants, la deuxième à l’initiative de la ville de Commercy, la troisième par transformation des activités « petite enfance » d’une association. Pourtant, elles ont un point commun : elles ont adopté le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), créé en 2001. On en comptait environ 300 en 2012. Elles sont aujourd’hui plus de 900 ; 130 à 150 se créent chaque année, et le rythme ne faiblit pas. Car ce statut répond au double défi du territoire et de la coconstruction. La loi dit des Scic qu’elles « ont pour objet la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale ».
De fait, la caractéristique première, qui en fait la richesse, est l’obligation d’un multi-sociétariat composé de trois catégories de parties prenantes : les salariés, les bénéficiaires et les soutiens du projet, personnes physiques ou morales, publiques ou privées. De là naît le projet collectif, où les intérêts de chacun composent avec ceux des autres au profit de l’objectif commun.
Deux autres caractéristiques, communes aux coopératives, renforcent cette dimension d’intérêt collectif. Tout d’abord, la démocratie, au travers de deux dispositions : la règle « une personne égale une voix », indépendamment de l’apport en capital, et la libre entrée et sortie au nominal du sociétariat, qui donnent un égal accès de tous aux décisions, motivées par le projet et non par l’apport capitalistique. Ensuite, la lucrativité limitée, avec la mise en réserve obligatoire de plus de 50 % du résultat d’exploitation et l’encadrement de la rémunération des parts sociales, conduit à privilégier le long terme plutôt que la rentabilité de court terme.
C’est de ce mode d’entreprendre que naît le caractère d’utilité sociale des biens et des services produits. Il s’ensuit que le réinvestissement dans la coopérative est la norme, et nombre de Scic mettent en réserve l’intégralité de leurs excédents, accordant une importance primordiale au pilotage démocratique de la coopérative, condition du maintien durable de l’affectio societatis.
C’est ainsi que le Grap s’est organisé en quatre catégories d’associés : les soutiens, les activités « intégrées », les activités « associées » et les salariés. Il offre trois types de services à ses membres : des fonctions support (comptabilité, fiscalité, juridique, administration), un accompagnement du métier (suivi de l’activité, ressources humaines, conseils) et l’intercoopération (commandes groupées, formation, mutualisation de matériels, locaux, véhicules…). Une attention particulière est portée à l’animation coopérative : direction collégiale, réunions régulières sur des sujets sensibles (bio industrielle, échelle de salaires et genre, intercoopération…), suivi rapproché de chaque membre, deux séminaires annuels, dont un sert d’assemblée générale, etc.
Pour construire son offre globale, la Savécom réunit, elle, outre la collectivité locale et sa communauté de communes, les salariés, les artisans, les bénéficiaires des rénovations, des partenaires financiers et des acteurs du développement local. Une soixantaine de logements ont été réhabilités, les artisans ont bénéficié de formations et acquis des compétences en matière de rénovation. Gain de pouvoir d’achat et confort thermique pour les habitants, création de valeur estimée à plus de 3 millions d’euros, qualification des artisans et augmentation du volume d’emploi local (chiffré à environ 50 équivalents temps plein) sont quelques-uns des impacts mesurés de la Savécom.
En Jeux d’enfance, de son côté, réunit quatre catégories de parties prenantes : les organisations fondatrices (dont l’association-mère), les salariés, les bénéficiaires et les partenaires financiers. De nombreuses collectivités locales, communes ou communautés de communes, et des hôpitaux sont associés à la Scic. Par souci de démocratie et de réactivité, un conseil de coopérative a été créé. Il peut être saisi par le conseil d’administration pour toute question concernant la marche de l’entreprise, et des comités d’études sont prévus pour l’éclairer, ainsi que la présidence, sur des points méritant réflexion en amont de toute décision.
Bien d’autres Scic organisent ces formes de partenariat public-privé vertueuses, des modes de gouvernance démocratiques, et maillent le territoire dans tous les domaines : énergies renouvelables, circuits courts (alimentation, déchets, économie circulaire…), santé, culture, environnement (mobilité durable, économies d’énergie…), nouveaux modes de travail (coworking…) ; certaines sont désormais connues, telles Enercoop, Citiz ou Habitat et humanisme.
Toutes concourent à l’invention de nouvelles formes de création de richesse pour un développement territorial plus soutenable, fondé sur des alliances entre acteurs économiques – grandes et petites entreprises capitalistes et entreprises de l’ESS, tempérant la course effrénée au profit, introduisant, grâce à leurs 35 000 à 40 000 sociétaires et plus de 6 000 salariés, une dimension de démocratie économique concrète et locale. Enfin, elles construisent de nouveaux modes de régulation de proximité, auxquels s’associent souvent les collectivités locales, pour une plus grande résilience des territoires.
Adelphe de Taxis du Poët est l’ancien responsable des Scic à la Confédération générale des Scop.