L’émancipation, c’est (aussi) du boulot !

Face aux nouvelles formes de travail et à la précarité, les coopératives peuvent apporter des réponses fondées sur la solidarité.

Noémie de Grenier  et  Isabelle Nony  • 14 février 2019 abonné·es
L’émancipation, c’est (aussi) du boulot !
© photo : Entretien du compost à la coopérative Coopaname. crédit : PIERRE VERDY/afp

Le monde du travail semble traversé d’aspirations paradoxales : il serait impossible de gagner correctement sa vie tout en exerçant une activité qui a du sens, de bénéficier d’un bon niveau de protection sociale tout en travaillant dans un cadre démocratique, ou encore de changer de métier tous les cinq ans (voire d’en exercer plusieurs) tout en gardant du temps pour d’autres activités. Pourtant, la réconciliation de ces aspirations dessine un horizon d’émancipation. Si celui-ci reste largement impensé, il n’en est pas pour autant impensable, à condition de prendre le temps de remettre sur l’établi la notion même de travail, la définition de l’emploi et leur articulation avec les autres sphères de la vie.

C’est ce chantier que mettent en œuvre aujourd’hui de multiples expériences de collectifs de travail. Sous forme associative, coopérative ou sans forme juridique, une myriade de collectifs cherchent à réinventer le travail et, à travers lui, notre manière de « faire société ». Parmi ces expériences, peu visibles sur la scène médiatique et dans l’arène politique, les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) nous semblent expérimenter un futur désirable du travail. Elles s’emploient à faire exister dès aujourd’hui, dans un univers de contraintes, un champ des possibles.

Une des spécificités du mouvement des CAE est de rassembler des activités économiques autonomes issues de secteurs d’activité très variés. À Coopaname, par exemple, des informaticiennes et des jardiniers échangent au quotidien sur leurs difficultés d’organisation ou leurs interrogations sur leur modèle économique avec des menuisières ou des formateurs. Au-delà du fait que cette forme permet à chacune et à chacun d’exercer plusieurs activités ou de faciliter des reconversions, la possibilité de réfléchir ensemble et de comparer les pratiques des différents métiers et secteurs d’activité rend possible l’élaboration d’instruments puissants face aux multiples formes de domination que les travailleurs autonomes rencontrent sur le marché. Les coopanamiens sont confrontés au quotidien aux mêmes questions : ne pas perdre sa vie à la gagner, trouver des clients pour pouvoir se rémunérer et accéder à une protection sociale. La solidarité interprofessionnelle a conservé toute sa pertinence, elle demeure un outil efficace au service du monde du travail.

Une autre spécificité des CAE comme ­Coopaname est aussi de rassembler des personnes dont les parcours, les situations et les projets sont très différents. Aux côtés de celles et ceux qui se construisent un emploi durable à temps plein, certains sont en quête d’une activité complémentaire ou d’un temps partiel, ou tentent de vivre d’activités socialement utiles pas toujours (ou pas encore ?) rémunératrices. La solidarité interprofessionnelle qui s’y reconstruit est davantage fondée sur la notion d’activité, d’utilité ou de travail que sur l’idée d’emploi au sens strict.

Construire un collectif riche d’une diversité d’expériences et de connaissances ne saurait suffire à édifier un projet d’émancipation : la question de la démocratie est ici centrale. Si la citoyenneté à l’intérieur de l’entreprise est généralement présentée comme antinomique du salariat, les coopératives ouvrières de production offrent la preuve depuis des décennies qu’il n’y a pas de fatalité à la subordination, pas de contradiction entre le fait de contribuer aux caisses de solidarité interprofessionnelles, de bénéficier de la protection sociale qui en découle et d’exercer sa citoyenneté à l’intérieur de l’entreprise.

Les CAE ont apporté l’aspiration à l’autonomie au cœur de ce projet démocratique. Pour tout ce qui concerne la coopérative, on décide ensemble, mais, en ce qui concerne mon activité, mon travail quotidien, comment je travaille, avec qui et pour quoi faire, je suis souverain.e. C’est bien le collectif qui crée les conditions de cette autonomie, davantage interdépendance qu’indépendance (au sens néolibéral). Si le modèle de ces coopératives n’est pas abouti, et si nous sommes toujours en questionnement et en construction de ce que pourraient être, demain, des formes plus vastes, plus solides et plus protectrices de mutualité de travail, ces articulations entre individuel et collectif, protection mutuelle et autonomie des personnes, laissent entrevoir un chemin vers l’émancipation.

Noémie de Grenier et Isabelle Nony sont associées de la CAE Coopaname.

Économie
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