Pain bio et pommes de terre politiques à l’Amap de Saclay
Les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne sont emblématiques de l’essor des circuits courts.
dans l’hebdo N° 1539 Acheter ce numéro
Les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) sont emblématiques de l’essor des circuits courts dans l’alimentation en France. La pionnière s’est lancée en 2001 à Aubagne (Bouches-du-Rhône), elles étaient plus de 2 000 en 2015 (1). Fondé sur la vente directe et la solidarité économique entre producteurs et consommateurs, le modèle vise à préserver une agriculture paysanne, écologique et équitable à proximité des centres urbains. Créée sur le plateau de Saclay (Essonne) il y a quinze ans, l’Amap les Jardins de Cérès, la plus importante d’Île-de-France, avec 250 adhérents, témoigne de l’impact d’un mode alternatif de distribution qui ne peut plus être qualifié de mode. Rencontre avec son président, Cyril Girardin.
En quinze ans de pratique, quels succès retenez-vous ?
Cyril Girardin : Tout d’abord, la pérennité du partenariat initial, avec Cristiana et Emmanuel Vandame, fermiers à Villiers-le-Bâcle (Essonne). Et bien sûr leur trajectoire, qui les ancre toujours plus dans la conviction que cette relation étroite avec les consommateurs leur est bénéfique. Cultivateurs de blé sur plus de 200 hectares, en conventionnel à l’époque, ils sont aujourd’hui 100 % bio. Les cultures maraîchères (pommes de terre et lentilles), destinées aux adhérents de l’Amap, n’occupent cependant qu’une toute petite superficie. L’évolution décisive s’est dessinée quand les Vandame se sont lancés dans la meunerie, puis la construction d’un fournil en 2011. Il n’y avait plus de boulangerie à Villiers-le-Bâcle (1 300 habitants), on y trouve désormais un pain bio issu d’un blé cultivé à moins d’un kilomètre. Et l’activité a contribué à stabiliser l’économie de la ferme tout en créant trois emplois. Le succès a dépassé les espérances : la boulangerie livre les Jardins de Cérès mais aussi les campus universitaires locaux et d’autres Amap voisines.
Ces projets ont-ils inspiré des développements aux alentours ?
Une dynamique vertueuse s’est enclenchée. Des Amap sont nées depuis dans les environs. Aujourd’hui, 17 % de la production agricole du plateau de Saclay est bio, c’est quatre fois plus que la moyenne en Île-de-France. Nous y avons contribué par une étude menée en 2006 sur la faisabilité de circuits courts pour la restauration collective des pays de Saclay.
Par ailleurs, la relation initiale s’est élargie : nous avons noué des partenariats avec une quinzaine d’autres producteurs (cresson, miel, fromage, lait, poulets, œufs, champignons, tisanes, etc), qui travaillent tous dans l’esprit Amap. La taille des Jardins de Cérès contribue à cet effet d’agrégation, et les paniers mensuels distribués sont bien diversifiés. En outre, certains les complètent auprès d’autres Amap, un mode d’approvisionnement devenu dominant pour ces usagers, couvrant jusqu’à 80 % de leurs achats alimentaires.
Cet ancrage incite-t-il la structure à grossir pour gagner en impact ?
L’effet d’échelle est puissant mais nous avons expérimenté qu’au-delà de 300 adhérents la logistique devenait trop lourde. Aussi avons-nous choisi de ne pas dépasser 250 adhérents. En revanche, on peut contribuer à l’émergence de nouvelles Amap ou d’alternatives. Dans mon village de Châteaufort (Yvelines), 1 500 habitants et une boulangerie pour seul commerce alimentaire, nous avons lancé en 2016 une épicerie participative, majoritairement bio, gérée par les adhérents, qui y consacrent deux heures par mois. La grande distribution commence à se préoccuper de cette désaffection croissante des consommateurs pour son modèle. C’est encore relativement marginal au regard de son chiffre d’affaires, mais c’est une tendance de fond. Quinze ans après le lancement de notre Amap, toutes les intuitions qui ont fondé le mouvement sont en train de se vérifier.
Comment peut-il progresser, sur le plateau de Saclay ?
Avoir reconnecté les mondes urbain et rural est déjà un bénéfice considérable. Nous avons commencé chez les Vandame avec des pommes de terre « politiques », qui visaient à démontrer que le plateau, qui compte parmi les meilleures terres agricoles de la région, pouvait contribuer à nourrir ses habitants alors qu’il est miné par le béton et le bitume.
Avec la déviation d’une partie du blé local dans un circuit boulanger de proximité, nous érodons un modèle absurde, qui exporte des céréales hors de la région et importe des aliments qui pourraient être produits sur place. La réorientation de ce modèle prendra bien des années…
(1) Selon le réseau national Miramap. Il n’existe pas de suivi exhaustif.