Réinventer les possibles
Il demeure des îlots de résistance qui, loin de n’être que des expérimentations éphémères et locales, aspirent à faire modèle : c’est l’économie sociale et solidaire (ESS), née au cœur de l’usine il y a plus de deux siècles.
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La plus grande escroquerie du capitalisme a consisté à mettre sur le même plan toutes les notions de propriété, au nom du droit imprescriptible à la propriété privée : celle de l’individu (sa maison, sa voiture, sa montre…) et celle des entreprises (les outils, la force de travail humaine, les capitaux). Ce droit de propriété s’est même étendu très tôt aux biens de première nécessité et aux ressources naturelles (eau, gaz, pétrole, métal, etc.).
Droit du citoyen, le droit de propriété est ainsi dévoyé au point que nul ou presque n’a résisté aux vagues de privatisations, c’est-à-dire de transferts de ressources collectives au bénéfice de quelques-uns. Dont les profits financiers inouïs ne cesseront d’étonner, demain, quand l’homme sera civilisé…
S’il n’est plus à démontrer que le capitalisme produit des inégalités, il reste qu’un autre modèle de développement n’a pas encore empiriquement démontré l’inverse. En théorie, le socialisme – ou, désormais, l’écosocialisme – ne manque pas de schémas parfaits. Mais la pratique a souvent mal tourné, soit par dévoiement, soit par faiblesse. Il faut dire que le système capitaliste a une résilience à toute épreuve et, jusqu’ici, gagne face à tous ses adversaires.
Tous ? Non, car demeurent des îlots de résistance qui, loin de n’être que des expérimentations éphémères et locales, aspirent à faire modèle : c’est l’économie sociale et solidaire (ESS), née au cœur de l’usine il y a plus de deux siècles.
Embryon du socialisme, la caisse de secours des mineurs (qui a préexisté au syndicat et au parti) fut plus qu’une simple tontine ouvrière : elle posa très vite la question majeure, celle de la propriété. Depuis la première révolution industrielle, de nombreuses formes de propriété ont tenté de contrer les outrances illégitimes du capitalisme et des oisifs fortunés qui commandent au capital des entreprises : coopératives ouvrières contre sociétés anonymes ; mutuelles de santé contre assurances ; nationalisations contre privatisations.
Fondées sur la valeur d’usage plutôt que sur la spéculation, les expérimentations de l’ESS ont toujours suscité à la fois le mépris et la peur de voir remis en cause l’ordre économique qui fait de la propriété (des capitaux) sa clé de voûte. Dans le monde entier, pourtant, elles ont souvent fait leurs preuves, vous le lirez dans ce hors-série. Mais elles ont aussi parfois fait fausse route, par mimétisme capitaliste et compétitivisme… L’ESS s’est fatiguée elle-même à force de clamer des principes qu’elle a fini par ne plus défendre avec l’ardeur du combat et de l’utopie. Reste qu’une entreprise – privée ou publique – devrait d’abord refléter l’esprit de coopération entre les humains et non la subordination du plus grand nombre à quelques-uns.
Cette autre économie démocratique jusque dans l’entreprise – fondée sur l’égalité et tournée vers l’émancipation – reste possible, à condition que soit revu le rapport de force entre possesseurs des capitaux et peuple laborieux. Surtout, un regard renouvelé des théoriciens et (auto)critique des acteurs de l’ESS est devenu indispensable. À l’heure où le système dominant se fissure, Politis juge essentiel de leur donner la parole.
NB : Nos plus vifs remerciements aux contributeurs de ce hors-série, ainsi qu’à Jean-Philippe Milesy, qui l’a coordonné.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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