Un entrepreneuriat de la tempérance

Par leur modèle, les sociétés coopératives sont un outil indispensable pour relever les nombreux défis de la transition énergétique.

Fanélie Carrey-Conte  • 14 février 2019 abonné·es
Un entrepreneuriat de la tempérance
© crédit photo : BERNARD JAUBERT/ONLY FRANCE/AFP

Nous ne réussirons pas la transition énergétique par la seule addition de gestes individuels, aussi nécessaires soient-ils, ni par des correctifs cosmétiques apportés à quelques orientations des politiques publiques : seul un profond changement de modèle économique et social nous permettra de véritablement relever ce défi. En ce sens, le mouvement de l’économie sociale et solidaire (ESS), et particulièrement le modèle coopératif, a un rôle crucial à jouer, car les principes sur lesquels il repose sont indissociablement liés à la transition énergétique.

Cette transition nécessite d’indispensables préalables : porter une vision de temps long, à l’opposé des réflexes court-termistes ; mobiliser une force démocratique et citoyenne pour transcender les intérêts particuliers, pour résister et agir face à de puissants lobbys ; construire enfin un modèle économique et social dégagé de la seule logique d’une course sans fin au productivisme et à l’augmentation des profits.

Les entreprises de l’ESS s’inscrivent pleinement dans ces nécessités. Elles développent un entrepreneuriat de la tempérance tourné vers la durée ; leur modèle économique est fondé sur la gouvernance démocratique, la volonté de rendre les citoyens acteurs des choix d’orientation ; enfin, c’est un entrepreneuriat caractérisé par la lucrativité limitée, avec des bénéfices dirigés vers le financement de projets d’intérêt collectif.

L’histoire d’Enercoop, seul fournisseur d’électricité 100 % renouvelable et coopératif, est emblématique de ces principes. Créé à l’initiative d’associations environnementales et de structures de l’ESS comme les Amis de la Terre, Greenpeace, Biocoop ou encore la Nef, Enercoop naît lors de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité en 2005. Comment réagir face à la fin imposée du monopole d’EDF et à la libéralisation du secteur ? Le projet d’Enercoop vise alors à utiliser ce contexte pour promouvoir un autre modèle énergétique : il s’agit de passer d’un système appuyé sur le nucléaire et géré de manière technocratique et centralisée à un modèle fondé sur des énergies renouvelables, décentralisé, et dont les citoyens se réapproprieraient la gouvernance.

Enercoop se crée dès lors naturellement sous le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), une forme innovante de coopérative caractérisée par le multisociétariat. Il s’agit de réunir au sein d’une même entreprise des catégories d’associés aux intérêts différents pour créer du commun au service d’un projet partagé. Dans le cas d’Enercoop, consommateurs d’électricité, producteurs, salariés, partenaires et collectivités locales sont sociétaires de la coopérative au service de l’accès de tous à l’énergie et de sa réappropriation citoyenne.

Des collectivités sociétaires

Le fait que des collectivités locales puissent être sociétaires de Scic est un élément essentiel dans le champ d’activité de la fourniture d’électricité. Des régions comme l’Occitanie, des villes comme Malaunay, en Normandie, ou Romainville, en Île-de-France, sont ainsi sociétaires d’Enercoop. Il s’agit par là d’organiser de nouvelles relations entre puissance publique locale et initiatives citoyennes, et de faire sortir les questions énergétiques du seul champ du tout-marché et du tout-concurrentiel.

Depuis sa création, le projet d’Enercoop n’a cessé de rencontrer écho et adhésion, réunissant aujourd’hui près de 70 000 clients, dont 35 000 sociétaires. Dix coopératives régionales ont été créées aux côtés de la coopérative nationale, dans une logique de circuits courts de l’énergie. L’approvisionnement en énergie renouvelable est assuré en contrats directs auprès de 200 producteurs locaux sur l’ensemble du territoire – quand la plupart des autres fournisseurs d’électricité s’approvisionnent sur le marché.

Mais d’autres coopératives sont également engagées sur le terrain de la transition énergétique et plus largement écologique : celles qui se sont créées pour porter sur les territoires des projets de production d’énergie renouvelable gérés par des citoyens et des collectivités locales, et celles œuvrant contre la précarité énergétique ou dans le secteur de la mobilité.

Quelles sont les perspectives ? Le développement de l’énergie coopérative, citoyenne et démocratique doit permettre, en lien avec la puissance publique, d’agir pour bâtir un système énergétique garantissant à tous un accès à ce bien fondamental qu’est l’énergie, et préservant notre avenir collectif.

Fanélie Carrey-Conte est directrice du pôle coopération d’Enercoop.

Économie
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