Une société malade
Nous avons surtout dénoncé ici les violences policières. Mais nous avons aussi obligation de nous interroger sur les violences venues de la rue. Elles trahissent une crise profonde, morale autant que sociale.
dans l’hebdo N° 1540 Acheter ce numéro
Le climat politique actuel a de quoi inquiéter. Le parallèle avec les années 1930 est sans aucun doute abusif. On peut cependant apercevoir quelques similitudes. Entre autres ressemblances, il y a la violence sous toutes ses formes, et venant de toutes parts. Nous avons surtout dénoncé ici les violences policières. Ce sont les plus graves, non seulement parce qu’elles mutilent – on l’a vu encore samedi dernier avec ce malheureux manifestant qui a eu les doigts arrachés par une grenade dite de désencerclement –, mais surtout parce qu’elles sont le fait de l’État. De cet État qui revendique ce que les juristes appellent « le monopole de la violence légitime ». Les armes qui éborgnent ou estropient sont utilisées au nom du droit. On n’en finit pas évidemment de s’interroger sur ce que défend et protège ce droit. Quelle politique ? Quelle injustice ? Quels privilèges ? Et les limites de la légitimité à laquelle il prétend. La réponse à ces questions réside dans une autre violence, sourde, et cependant destructrice : la violence sociale d’une politique qui se pare des vertus de la démocratie sans en respecter les règles les plus élémentaires. On se souvient du référendum de 2005. Cela doit être rappelé inlassablement.
Mais nous avons aussi obligation de nous interroger sur les violences venues de la rue. Elles trahissent une crise profonde, morale autant que sociale. Quel sens pseudo-révolutionnaire peuvent avoir les assauts contre les grilles de l’Assemblée nationale ? Les attaques contre les permanences de députés ? La tentative d’incendie de la résidence du président de l’Assemblée ? Ce sont parfois des irruptions de colère. L’expression d’une énorme frustration. On reparle de poujadisme. Ce poujadisme qui, partant d’une critique de l’impôt, a fini par amener Le Pen dans ses vastes bagages.
Mais il y a plus sûrement à la manœuvre des groupes d’ultradroite, très proches voisins idéologiques du Rassemblement national – n’en déplaise à Marine fille-de-son-père –, et qui, eux, ont un « projet » : le chaos. Enfin, il y a des « ultragauche » (ou supposés tels), dont certains s’en prennent aux banques, et aux symboles de la richesse, voire plus largement du consumérisme, et à des petits commerçants qui n’en peuvent mais. Ils offrent aux télévisions des images complaisantes qui relèguent à l’arrière-plan le combat des gilets jaunes. Ces violences existent et il serait coupable de les cacher. Mais il y a pire, bien pire qu’une Porsche endommagée ou une devanture de banque caillassée. Ce sont ces tags antisémites sur des boutiques tenues par des commerçants juifs. Ce « Juden » inscrit sur la vitrine d’un magasin de la chaîne Bagelstein, à Paris (d’autres semblables inscriptions ont été vues à Mulhouse), nous remplit d’effroi. Comme cette croix gammée sur le visage de Simone Veil.
On veut bien croire que les ultragauches ne sont pas des anges, mais on imagine aisément de quel côté penchent les auteurs de ces tags qui rappellent l’Allemagne nazie. Certes, ils sont l’œuvre de groupuscules marginaux, et nous n’avons pas en France de Sections d’assaut qui paradent dans nos rues au compte du pouvoir. Il n’empêche ! Nous respirons tout de même des odeurs pestilentielles. À qui la faute ? Dans un État de droit, il n’y a pas de responsabilités collectives. Les seuls coupables sont les auteurs de ces ignominies. Mais il faut s’interroger sur le climat qui libère ces forces obscures. Et sur ce que cela peut engendrer dans un proche avenir, alors que le gouvernement continue de ruser avec la colère citoyenne. On a donc quelques raisons de s’inquiéter quand tous les sondages montrent que c’est le Rassemblement national qui ramasse la mise.
Les violences servent surtout à discréditer le combat des gilets jaunes, à les assimiler plus ou moins grossièrement à des gens peu fréquentables. Le gouvernement ne rate pas l’occasion. Et pourtant, d’où viennent ces poisons qui se diffusent dans notre société, sinon d’un sentiment accru d’injustice sociale, et d’impuissance démocratique. Et ça continue ! Pendant que le « grand débat » se poursuit, on présente un projet de loi santé qui sent l’arnaque, et un projet « pour une école de la confiance » (sic) qui prévoit des regroupements d’établissements. Encore des services publics qui s’éloignent ! Et des vies toujours plus difficiles pour une majorité de nos concitoyens. Dans un entretien au Monde, l’historien Christophe Bellon note que nous connaissons un niveau de violence « sans équivalent » sous la Ve République. Il oublie peut-être un peu vite l’OAS au sortir de la guerre d’Algérie, et le massacre du 17 octobre 1961, mais il fait ce constat juste : on ne sort de ces situations de crise que par des élections. Des vraies élections, pas un référendum faisandé. Les européennes peuvent-elles servir à cela ? Pourquoi pas. À condition que la gauche – les gauches – nous propose une alternative crédible et audible qui nous permette d’échapper à l’antagonisme désespérant Macron-Le Pen.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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