À pleines dents
L’ensemble familial des Ogres de Barback signe un album tout en verve.
dans l’hebdo N° 1545 Acheter ce numéro
C’est un livre d’Antoine Leiris, dont la fille a péri dans l’attentat du Bataclan. Les Ogres en ont fait une chanson aux airs de riposte : « Ils rempliront mon cœur de peine, mais ils n’auront pas ma haine ». « Pas ma haine » n’est pas le seul titre de ce nouvel album qui résonne avec l’actualité. De plein fouet, comme dans « Pas une femme » ou « La nombrilite aiguë », avec ses vers qui vont faire marrer un paquet d’ogrillons : « Chacun pour soi pense à son cul, avec un QI de trou de balle ». Ou en filigrane, comme dans « Tous les matins immondes » : « Tous les matins j’lance mon plan vie durable, ego-responsable ».
Fred, qui signe les textes, s’est surpassé. Certains arrangements sonnent dans la plus pure tradition des Ogres, hommages assumés à Georges Brassens, Renaud ou Mano Solo. D’autres s’enrichissent de contre-chants heureux avec la fanfare Eyo’nlé (« Si tu restes », « La Rochelle ») et ont été maquettés à Cotonou, au Bénin. Fred partage le micro sur « Hé papa », le cède même à Lior Shoov et Magyd Cherfi, le chanteur de Zebda, sur « Contre ta bouche », très belle chanson sur l’amour contre la désespérance. Il y a des rythmes de fête, toujours, pour tromper le chagrin et convertir la colère en gigue afro-macédonienne.
Amours grises & colères rouges est un album de la maturité d’un groupe-famille qui continue à se réinventer. Qui arrive à rester lui-même en s’ouvrant, refuse l’entre-soi tout en cheminant de concert. L’ensemble est toujours modulaire et modulable, dans sa taille, ses inspirations et ses instrumentations, puisque chaque musicien – Alice, Mathilde, Sam et Fred – joue de plusieurs instruments : c’est une marque de fabrique. Un disque protéiforme, conjuguant l’intime et l’atemporel, le mélodique et la blague, le contre-pied et le syncopé – et, aussi, le bras d’honneur.
Amours grises & colères rouges, Les Ogres de Barback, Irfan le label.