« C’est quoi, un satrape ? »

À Gréoux-les-Bains, Emmanuel Macron a doctement expliqué que les matraquages et les tirs de grenades (liste non exhaustive) qui ont fait depuis cinq mois des centaines de blessé·e·s parmi les gilets jaunes n’étaient pas du tout des « violences policières ».

Sébastien Fontenelle  • 13 mars 2019 abonné·es
« C’est quoi, un satrape ? »
© crédit photo : CHRISTOPHE SIMON / AFP

Dans le cadre du « grand débat national », dont son Premier ministre avait, quelques jours plus tôt, d’ores et déjà prévenu que les effets concrets risquaient d’être un peu « déceptifs » – t’attendais qu’on te rallonge ton APL de trois euros mais on a préféré donner encore une prime de sept milliards au patronat –, Emmanuel Macron participait, ce 7 mars, à une réunion publique à Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence).

Et tout se passait à peu près bien (comprendre qu’il déroulait tranquillement sa langue de bois en recrachant discrètement, toutes les cinq minutes, quelques copeaux de teck massif) quand, soudainement, son nez s’est allongé de 19 885 centimètres – je te laisse convertir en miles, David (1) –, ratant de peu l’œil d’une participante effarée, pour aller briser une fenêtre et finir sa course contre un arbre, dans la tiède campagne environnante. (« Regarde, c’est Pinocchio » a crié, ravie, une enfant qui passait par là.)

Il est vrai : Emmanuel Macron venait de proférer ce qui restera sans doute, et ce n’est pas peu dire, comme l’un des plus hardis mensonges de son quinquennat puisque, interpellé par une sympathisante de ce mouvement, il lui a doctement expliqué que les matraquages et les tirs de grenades (liste non exhaustive) qui ont fait depuis cinq mois des centaines de blessé·e·s parmi les gilets jaunes n’étaient pas du tout des « violences policières », allons, allons, ma petite dame, contenez-vous, je vous en prie. Puis de rabrouer, de sa voix onctueuse, mais vertement – sans doute était-ce sa manière à lui d’anticiper de vingt-quatre heures la Journée internationale des droits des femmes –, la perturbatrice : « Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un État de droit. » Puis de s’autocongratuler, dans l’oubli qu’une octogénaire, Zineb Redouane, était morte à Marseille le 2 décembre pendant son opération, après avoir été blessée la veille, chez elle, sur son balcon, par des fragments d’une grenade lacrymogène : « Après des semaines et des semaines [de manifestations], il n’y a aucun mort à déplorer du fait des forces de l’ordre. »

Par ces déclarations ahurissantes (2), Emmanuel Macron, qui prétend donc empêcher que certains « mots » soient publiquement prononcés, montre tout en même temps la conception particulière (et quelque peu despotique) qu’il se fait du débat – fût-il « grand » et « national » –, et qu’il a décidé, en les niant effrontément, de normaliser une répression et des violences policières dont le monde entier sait – l’ONU s’en est émue – l’effroyable férocité : il se dit qu’à Gréoux-les-Bains la même enfant qui se ravissait de croiser le nez de Pinocchio a ensuite demandé : « Mais c’est quoi, un satrape ? »

(1) Je ne sais plus si je t’ai dit que, si tu cherches des calembours de qualité, tu peux m’écrire ?

(2) Et sur lesquelles il y aurait infiniment plus à dire que ne l’autorise l’espace lilliputien de ces deux minuscules feuillets – comme, par exemple, qu’Emmanuel Macron, expert ès « État de droit », aime vendre, en Égypte, des armes à des massacreurs de manifestant·e·s.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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