De classe, mais de gauche
Ils t’expliquent que les luttes contre l’homophobie ou l’islamophobie, ça ne prend pas auprès de la plèbe.
dans l’hebdo N° 1543 Acheter ce numéro
Tu as dû noter qu’il était souvent question, ces temps-ci (1), de l’ahurissant mépris de classe où se vautrent, à droite, M. Macron et sa dream team. Et c’est très bien ainsi – car cette morgue est effectivement odieuse.
Mais je me demande parfois si, pour être complètement exhaustifs, nous ne devrions pas questionner aussi ce qui se passe dans les recoins du camp dit progressiste depuis lesquels d’ombrageux professeurs de maintien (2), juchés sur des surplombs d’une si haute hauteur que l’oxygène doit s’y raréfier (3), proclament, tous les quinze jours désormais, qu’il serait plus que temps que la gauche, pour reconquérir enfin l’âme et les reins du peuple (dont ils savent donc, c’est induit, les aspirations et les besoins), revienne à son cœur de métier, qui est la lutte des classes – et qu’elle cesse, pour ce faire, de se perdre dans des disciplines subalternes.
Parce que bon, t’expliquent-ils en substance (tout en jurant, il va de soi, que c’est plus affiné que ça) : l’antiracisme, le féminisme, tous ces trucs pour lesquels se passionnent les campus yankees – avec leurs toilettes réservées aux étudiant·e·s transgenres, ârk, ârk, ârk – d’accord, c’est très bien. Même, concèdent-ils, ça a eu son utilité quand il restait encore quelques droits à conquérir pour quelques minorités (personne chez nous dira le contraire, on est de gauche, tavu ?).
Mais aujourd’hui, ajoutent-ils aussitôt, ça va trop loin, toutes ces conneries sur le genre et la race – on va pas non plus construire des chiottes séparées pour les queers véganes malgaches dans les relais routiers du Tarn-et-Garonne, hein ?
Surtout, théorisent-ils, ces histoires de lutte contre l’homophobie ou l’islamophobie, ça ne prend pas du tout auprès de la plèbe, qui sait parfaitement que ce sont des hobbys de nanti·e·s des villes – et qui ne supporte plus les leçons de morale des élites parisiennes mondialisées qui lui intiment de ne plus voter pour le Rassemblement national.
Et c’est cela que nous pourrions, je crois, interroger : ce qui sous-tend, exactement, cette démonstration où le peuple – also known as « les prolétaires » – se trouve réduit à ses prétendus engouements de masse pour le lepénisme, et représenté par des gens qui assurent vouloir le sauver comme un triste (4) ramassis de crétin·e·s inaccessibles à l’idée, relativement simple pourtant, que la défense de ses sécurités salariales et sociales (liste non exhaustive) s’articule d’évidence avec celle des minorités qui sont et restent, ici et maintenant, quotidiennement discriminées par ses exploiteurs.
Perso, j’aurais presque tendance à considérer qu’il y a là, au fond, une forme particulière, et particulièrement pernicieuse, de mépris : de classe, mais de gauche.
(1) Et jusque dans cette chronique.
(2) Peut-être n’est-il pas complètement anodin qu’il s’agisse de mecs, la plupart du temps.
(3) Mais dont nous sommes prié·e·s de croire, en dépit d’un certain nombre d’évidences fortes, qu’ils évolueraient au plus près d’un sol glébeux, dans la proximité immédiate du prolétariat.
(4) Mais très homogène puisque cette représentation sous-entend également qu’on n’y trouve aucune victime de discriminations homophobes, racistes, sexistes, etc.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.