Décloisonner les luttes

Les contacts entre militants, jeunes pour le climat et gilets jaunes se multiplient, avec l’espoir qu’un rapprochement est possible.

Vanina Delmas  • 20 mars 2019 abonné·es
Décloisonner les luttes
© photo : À la Marche du siècle, le 16 mars à Paris. crédit : Adrien Chacon

Dans le cortège parisien de la Marche du siècle, une pancarte résumait l’esprit général : « Tous dans le même bateau ». Ce samedi 16 mars, devaient converger dans la capitale l’acte 18 des gilets jaunes, la Marche des solidarités luttant contre tous les racismes d’État et une grande Marche pour le climat, dont l’un des slogans répétait l’envie d’unir les forces : « Fin du monde, fin du mois, même combat ! » Des gilets jaunes parsemaient les rangs des milliers de citoyens venus exprimer leurs inquiétudes quant à l’inaction des gouvernements pour préserver la planète.

Les moments de retrouvailles des figures des différents mouvements ou collectifs engagés dans ce projet de convergence des luttes se sont multipliés, que ce soit sur la scène, place de la République, à l’arrivée de la marche, ou deux jours plus tôt, à la Bourse du travail à Paris, pour la soirée « Fin du grand débat, début du grand débarras ! ». La salle Croizat débordait en nombre de personnes, en décibels et en effervescence à chaque nouvel intervenant : Camille, représentant les jeunes en grève pour le climat, Jérome Rodrigues et Priscillia Ludosky pour les gilets jaunes, Juan Branco, avocat, ou encore le comité Vérité et justice pour Adama Traoré. Tous n’avaient qu’une ambition : que ce samedi soit « le point de rupture ». Dans les faits, ce ne fut pas vraiment le cas, mais des pierres continuent d’être posées pour y parvenir.

Si les images des violences sur les Champs-Élysées attribuées aux gilets jaunes tournaient en boucle sur les chaînes d’info, la marche d’Opéra à la place de la République est restée pacifique. Mais pas passive, avec des appels assumés à des actions de désobéissance civile pour les prochaines semaines, menées idéalement par une partie des « gilets jaunes» et des militants écologistes (lire pages suivantes). Les jeunes, qui font grève chaque vendredi pour le climat depuis plus d’un mois, appellent, depuis plusieurs semaines déjà, à ce que tout le monde rejoigne leur slogan : « Vendredi vert, samedi jaune ». De nouveaux paris à tenir.

Dans un entretien accordé au média en ligne Reporterre, l’anthropologue Bruno Latour reconnaît une « énergie politique rassurante », mais rappelle que « le “système” est en bas, c’est l’ensemble des conditions dont les gens ont besoin pour subsister». « Le moment est celui que j’appelle “atterrissage”, qui demande en fait que l’on réalise combien nous sommes dépendants de la planète, détaille le philosophe. Jusqu’ici, nous vivions en l’air, en quelque sorte, sur une Terre qui n’était pas définie sérieusement. Les questions que posent les gilets jaunes deviendraient à 100 % écologiques s’ils commençaient à décrire leurs conditions d’existence », détaille-t-il, en référence aux cahiers de doléances rédigés ces dernières semaines.

Les tentatives de convergence des luttes s’expriment aussi dans les mots d’ordre accolés chaque samedi au nouvel acte des gilets jaunes. Comme l’acte 12, intitulé « la Marche des grands blessés », en hommage aux victimes de violences policières, ou l’acte 20 « contre les expulsions, les coupures d’énergie et le logement cher », prévu le 30 mars, date de la fin de la trêve hivernale. Des combats pouvant consolider les passerelles avec les quartiers populaires. « Il y a 99 % des habitants des quartiers populaires qui partagent les revendications des gilets jaunes. Les injustices fiscales et sociales, les violences policières, ça fait quarante ans qu’on les subit », affirmait Adel Kherdine, des gilets jaunes de Rungis et coordinateur régional pour l’Île-de-France, lors d’une conférence de presse collective. « Ceux qui ont toujours été en face de moi dans ma vie militante, ceux qui niaient le racisme étaient des pseudo-intellectuels, des pseudo-partis se disant de gauche ! Et ce sont les mêmes qui ont eu un discours méprisant envers les gilets jaunes. Cela a renforcé la volonté du comité Adama de rejoindre ce mouvement ! », explique Youcef Brakni, porte-parole du comité Vérité et justice pour Adama, militant antiraciste et pour l’égalité des citoyens depuis de longues années. Pour Priscillia Ludosky, l’une des figures du mouvement des gilets jaunes venant de Seine-et-Marne, la clé réside dans la non-violence pour échafauder des actions communes, même si elles restent dans l’ombre pour le moment, et la poursuite du détricotage des idées reçues : « Les politiques nous formatent depuis l’enfance pour qu’on croie que tout est cloisonné et que les problèmes des uns ne concernent pas les autres. Alors qu’écologie, social et fiscalité sont liés. »

Société
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