Écologistes et gilets jaunes : itinéraires d’un rapprochement

Comment gilets jaunes et militants écologistes se sont-ils rapprochés ? Et sur quelles revendications ? Le point de vue de figures des deux camps.

Oriane Mollaret  • 20 mars 2019 abonnés
Écologistes et gilets jaunes : itinéraires d’un rapprochement
© crédit photo : Mathias Zwick/Hans Lucas/AFP

« Il n’y aura pas de transition écologique sans une répartition équitable des richesses »

François Boulo Avocat, porte-parole des gilets jaunes de Rouen

« J’avais prédit que la France serait dans la rue six mois après l’élection d’Emmanuel Macron. Je me suis trompé d’un an. Je n’avais jamais été quelqu’un d’engagé. Ma première manif, c’était il y a un an avec les cheminots. Je viens d’une famille de droite gaulliste, j’étais complètement contaminé par l’idéologie néolibérale. Et puis, en 2013-2014, j’ai commencé à travailler et je me suis réveillé. Je suis sorti du coma politique dans lequel je me trouvais. Dès le début, j’étais dans une logique de convergence avec mon barreau : je voulais que les avocats portent le gilet jaune par-dessus leur robe… J’ai lamentablement échoué. Mais, malgré cet échec, j’ai continué.

Dès le 17 novembre j’étais sur les ronds-points avec les gilets jaunes. Au début, la majorité d’entre eux n’avaient pas une grande conscience politique, c’étaient des gens qui n’en pouvaient plus, qui étaient en colère à cause de trop de misère, de chômage, d’emplois mal payés, de taxes, de précarité et de mépris. Depuis, il y a eu une progression du niveau de conscience politique qui est assez phénoménale, avec des discussions sur les ronds-points, des assemblées citoyennes bien loin du cadre fictif des plateaux télévisés ou du grand débat. Maintenant, les gens sont bien conscients d’où viennent leurs difficultés.

Il faut qu’il y ait une transition écologique dans l’intérêt général, et une justice fiscale et sociale. Les deux vont de pair. Il n’y aura pas de transition écologique sans une répartition équitable des richesses. Il nous faut aussi un renouvellement des institutions et une démocratie plus directe. Et ça, les écolos l’ont bien compris. Les gilets jaunes parlent d’abord d’une répartition équitable des richesses, mais ils ont une conscience écologique. Les écolos et les gilets jaunes ne partent pas du même point, mais ils arrivent au même résultat, parce qu’il y a un socle commun à toutes ces revendications. Quant aux violences policières, il y en a eu beaucoup contre les gilets jaunes, des gardes à vue injustifiées, une répression telle que le Conseil de l’Europe et l’ONU ont sermonné la France. Pour moi, la convergence était évidente.

Après une semaine d’occupation des ronds-points, j’avais déjà exposé que les gilets jaunes étaient la pointe avancée du mouvement, et qu’il fallait que toutes les forces du pays s’y agrègent pour gagner le rapport de force. Dès le 1er décembre, à Rouen, les gilets jaunes ­défilaient avec la CGT, parce que nos revendications étaient proches, pour une justice fiscale et sociale. Le gouvernement leur reprochait de ne pas être écolos puisqu’ils refusaient la taxe sur le carburant. Mais ce n’est pas que les gens ne voulaient pas de cette taxe, c’est qu’ils ne pouvaient pas la payer. Le 8 décembre, il y a donc eu à Rouen une marche pour le climat dans laquelle j’étais, pour répondre à la propagande gouvernementale qui opposait les gilets jaunes aux écolos. Ensuite, j’ai été contacté par l’Affaire du siècle [campagne qui assigne l’État en justice pour son inaction en matière climatique, NDLR]. Après quatre mois sur les ronds-points et dans la rue, des violences policières et des blessés des deux côtés, on a bien vu que le gouvernement était sourd. Les gilets jaunes ont pris conscience qu’il fallait amener d’autres forces, massifier la mobilisation au maximum pour que le gouvernement entende. Aujourd’hui, la convergence est totale et je pense qu’elle va se poursuivre. »

« On prépare des actions non-violentes avec les gilets jaunes »

Pauline Boyer Militante à Alternatiba et à Action non-violente-COP 21

« Le 16 mars, c’était la première fois qu’une marche climat comptait aussi des gilets jaunes, dans le cortège “urgence sociale et écologique”, avec en outre la Marche des solidarités. Même s’il n’y a pas eu de mélange à proprement parler, la conférence de presse du mardi 12 mars, qui a réuni des militants écologiques, des gilets jaunes et des collectifs contre les violences policières, ainsi que les prises de parole sur scène après la marche de samedi ont bien montré que nous portons un message unitaire pour dénoncer les dysfonctionnements du système actuel.

Le 8 mars, nous avons ouvert un local à Paris, la Base, où peuvent discuter plein d’acteurs déjà mobilisés, mais qui avaient besoin d’un lieu pour rendre concrets des projets communs. La Base est ouverte à tous : si les gilets jaunes veulent y organiser quelque chose, ils le peuvent. Nous dispensons des formations à la non-violence auxquelles participent aussi des gilets jaunes, comme ça a été le cas le 7 mars pour préparer le blocage du pont d’Iéna du 9 mars. Nous avons programmé d’autres formations, et de nombreux gilets jaunes se sont montrés intéressés.

Marcher est important, mais cela ne suffit pas. Il faut utiliser tous les moyens possibles, notamment des actions de désobéissance civile, pour mettre la pression sur le gouvernement. Mettre à disposition nos outils d’actions non-violentes, que nous perfectionnons depuis des années, c’est aussi le rôle des mouvements plus anciens.

La violence, comme ce qui s’est passé le 16 mars à Paris, ne concerne qu’une infime proportion du mouvement des gilets jaunes, voire des personnes qui ne sont pas des gilets jaunes. Nos actions ne font pas forcément consensus dans ce mouvement, même si la plupart sont non-violents. Mais la convergence s’est faite dès le début, lorsque des militants écologistes sont allés discuter avec les gilets jaunes sur les ronds-points. Leur mouvement est protéiforme, il faut travailler sur le long terme.

Ce n’est pas forcément souhaitable non plus d’agréger tout le mouvement, on ne sait pas ce qu’il va devenir. Nous portons ensemble les revendications que nous avons en commun pour être plus forts. On prépare d’ailleurs des actions non-violentes avec les gilets jaunes contre Amazon, c’est une cible qui met tout le monde d’accord. »

Société
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